jeudi, 21 novembre 2024
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A propos de Matoub et de son œuvre : l’altière créativité

«La science exprime les efforts de l’homme qui cherche à la fois à comprendre la nature externe et sa propre nature.» 1

Les sons scandalisés

Quel mot, pour des considérations conceptuelles, pourrait-il mettre le poète et le parolier, les masses aidant,  en dehors des logiques de tension qui chassent la dialectique, pour refaire le sens de l’énoncé matoubien ?

Matoub réécrit le monde d’une encre transparente pour disculper les arrangeurs des procès iniques qui opposent les rebelles aux lettrés. « L’encre indélébile, c’est pas mon truc. » diraient les poètes.

Mais le sang est l’affaire de ceux qui, dialoguant avec le peuple humain, savent présenter des excuses quand le ressentiment, coincé entre les restrictions de la foi et la victimisation des meurtriers, s’efface, au profit, si nous pouvons le dire de façon aussi furtive qu’hégémonique, des forces bourgeoises extraites de toute prétention scientifique.

Quelle est la tendance de l’énoncé matoubien ?

Trois niveaux prennent en charge cet énoncé.

D’abord, l’erreur politique. Ensuite, l’éthique scripturaire. En dernier lieu, les pulsions vitalistes.

1° Un névrosé de « l’illégalité »

D’abord, ne faudrait-il pas exiger de la psychographie de corriger l’énoncé pour le rendre susceptible de porter une saine substance politique sans arranger la bourgeoisie institutionnelle (officielle) et sans que le souci demande à être récupéré par les manies transitoires, issues des névroses originelles ?

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Matoub, s’imposant comme néant terrifiant, décentre ses préoccupations et acte sa présence en politique par la négation du politique populaire au profit du politique bourgeois pour maintenir le clivage « légitime » entre le pouvoir et les masses intact ?

L’erreur de Matoub, c’est d’avoir recruté, dans les milieux populaires, des militants en les privant de toute possibilité d’énonciation capable de porter un idéal politique dont la légitimité ne nierait pas les narcissismes constructifs.

Politiquement, l’énoncé n’est pas à formuler par une rationalité qui arrache sa légitimité par l’inscription de la problématique collective sur des temporalités indéfinies. La finitude réduit à néant le goût de l’art matoubien, en ce sens que les temps cessent de se mouvoir contre les linéarités validant le récit bourgeois. Matoub, dans ce cas, reprend les thématiques sociales pour les convertir en questions politiques pour mettre le réflexe apolitique en panne : aurait-il pu s’astreindre au silence s’il était structuré dans un parti ?

L’énoncé idéologique aurait été inscrit dans les quêtes de la vitalité bourgeoise, bien que Matoub soit un coutumier du mouvement totémique : annoncer la mort de Dieu, c’est rien d’autre qu’une déclaration d’évasion des temps mythiquement confortables, lesquels se transcendent pour se secourir du poids des contingences réactives.

Le centre universel, c’est le politique ; or, Matoub a préféré jouer la radicalité bourgeoise. Ne rien accepter, c’est tourner le dos à la dialectique qui, plus est, renforce la dualité historique. Matoub était-il manichéen ? Il donne à la vitalité tous ses droits et invite les gens à se défaire de tout angélisme social. Le recentrage de la problématique collective (c’est trop de dire sociale) a été un barrage à l’unicité que les culturalistes louaient.

Matoub a vaincu les fatalistes en joignant deux postures : protéger les dominés de l’illusoire pluralité des sons (le scandale est la capitale de la langue) ; attaquer les dominants dans les prolongements existentiels de leur fonction.

Revendiquer un droit devient une affaire d’Etat, parce que les pluralités s’agglutinent pour former l’énoncé final de façon aussi expéditive qu’arbitraire. La formalisation se réduit à des impératifs moralisateurs.

Matoub concède aux conservateurs des espaces verbaux, mais gagne la bataille en maintenant les masses attachées à la problématique politique.

2° « La grammaire du silence » 2 ?  

Comment utiliserons-nous notre corps pour contourner l’apolitique ? Faut-il faire place à l’éthique pour comprendre ce que les mots refusent d’avouer dans l’endroit où chacun a été placé ?

Justement, l’énoncé matoubien nous exige d’assujettir le sens à ce que nous pourrions appeler la physique de l’énoncé, pour y repérer la structure : l’examen de l’énoncé matoubien revendique que l’éthique soit connue de tous les actants du discours commun.

Parler de Matoub, c’est, comme tout acte politique, s’exposer à la critique et aux procès publics. Mais, c’est aussi raccourcir les chemins de la connaissance sans se départir des exigences de rigueur et de rectitude.

Outre la version qu’il donne de l’Existence, Matoub met l’accent sur le rapport de l’Être moderne à ce que lui dictent les temps ayant vidé l’espace éthique de toute aspiration visible dans l’ordre humain. La route menant à la sérénité est barrée par les faits mineurs dont le contrôle n’est garanti par aucune avancée technique.

Matoub chante en refusant d’abandonner le politique aux syntaxes réductrices et aux faussaires du militantisme, car il y a une vie en arrière-fond de l’espace intellectuel et verbal. Finaliser un ordre verbal, c’est rajeunir l’énoncé de sorte qu’il renonce à la mesure bio-civile qui le tient dans l’Histoire.

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L’énoncé matoubien résiste difficilement à la tension qui oppose la vie aux militants : l’écriture est une sorte de conception du rythme existentiel par le déterminisme syntaxique. Le régime verbal inclut la voix et ses multiples emplois et usages : Matoub nargue les mots pour les rendre mineurs dans les chants qu’il offre à une Existence accusée de vouloir cultiver une sensualité débordante.

Dans les vers qu’il composait, Matoub tenait à se distinguer de ceux qui croyaient que la vie était une sorte de ligne au bout de laquelle nous attend la mort. Les temps obscurs n’ont pas de liens directs avec la mort : Matoub dit qu’autant que la vie, la mort est belle.

Cela veut-il dire un quelconque composant nihiliste dans les poèmes de Matoub ?

3° Un procès inique

Certains fans de Matoub croient le prennent pour un nihiliste. Faux. Matoub est un vitaliste, il invite à la vie et il n’évoque la mort qu’en ressentant une quelconque hégémonie de la part de l’Existence qui fixe le portrait du politique dans des clichés, des représentations, des mythes faussement construits.

Matoub a, d’après ce que le public a d’informations de sa vie, réussi de chasser le mythe de l’errance existentielle et de rompre avec ce que ses semblables répandent en mythes. Il n’a jamais démissionné de la vie : un battant sans doctrine contraignante. Il s’oppose à l’Existence qui le met face à sa posture historique.

A peine ressent-il le vide politique, qu’il évoque la mort ; nous constatons que le politique a, dans bien d’endroits, sauvé l’errant de ses pulsions et de ses désirs appuyés par des replis sur soi pourtant amèrement idéologisés.

Le thème de la mort traverse de long en large les textes de Matoub, mais il se met au service d’une cause populaire par laquelle la vie devient une sorte d’immeuble dont tous les passages sont connus, sauf l’entrée et la sortie.

Labyrinthique, cet immeuble n’a pas à être comparé au dédale kafkaïen, lequel atteste de ce que l’homme ressent non seulement existentiellement, mais aussi historiquement. Des bouleversements que l’humanité a vécus, est né le « cafardesque ».  

Le vitalisme de Matoub nous montre ce que la société ressent face à la sauvagerie de l’humain : le ressentiment se paie dans la contradiction qu’il affiche au sens de la vie. Nier la vie, c’est tuer l’aspiration à un sens qui se révèle être le facteur déterminant de l’existence (imaginons la fin de la syntaxe existentielle dans les tentatives de création artistique).

Prêche sans doctrine

Si les commentaires de l’œuvre de feu Matoub Lounès se sont focalisés sur l’engagement, ne faudrait-il pas chercher à examiner l’œuvre d’un angle autre que ceux déjà utilisés dans l’approche des textes matoubiens ? La psychanalyse en présente un. Nous pourrions faire appel à plusieurs problématiques relevées par divers angles, dont, à titre d’exemples, les procédés créatifs, l’architecture de l’acte créatif.

Madi Abane (universitaire)

  1. Reuben Osborn, Marxisme et psychanalyse, Londres, 1965, p. 150 (il s’agit d’une traduction) ↩︎
  2. Une expression du penseur Ivan Illich ↩︎
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