Amar Mohand-Amer, historien et chercheur, revient dans cet entretien à Diasporadz sur la place des Accords d’Evian et de Krim Belkacem dans le récit national.
Krim Belkacem reste «le grand inconnu» du récit national et est souvent réduit à son compagnonnage-opposition à Abane Ramdane, estime Amar Mohand-Amer.
Bio express
Amar Mohand-Amer, docteur en histoire (Paris 7), est directeur de la Division « Socio-anthropologie de l’histoire et de la mémoire (HistMém) » et directeur-adjoint du comité de rédaction de la revue Insaniyat, au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle, CRASC, d’Oran.
Il travaille sur les processus de transition (1962), les trajectoires individuelles et de groupes, la violence en temps de guerre (colonisation), ainsi que sur les questions mémorielles.
Amar Mohand-Amer participe au Programme Professeurs invités de l’EHESS, sur proposition d’Alain Messaoudi (Université de Nantes, CRHIA) dans le cadre de la chaire de l’IISMM.
Entretien réalisé par Kamel Lakhdar Chaouche
Diasporadz : Qu’elle est la place de Krim Belkacem dans le récit national et que représente-t-il ?
Amar Mohand-Amer : Je pense que Krim Belkacem reste le « grand inconnu » de notre récit national, car son parcours est souvent réduit à son compagnonnage-opposition à Abane Ramdane. Au final, nous oublions qu’il fut quasiment le « chef de l’ALN ». Sa désignation comme unique signataire des Accords d’Évian informe sur ce statut au sein du FLN et de la Révolution algérienne.
Cette situation nous interpelle car nous restons encore au stade d’une narration du passée circonscrite à des évènements et des faits, qu’ils soient glorieux ou non.
Ne pensez-vous pas qu’en Algérie comme en France, les Accords d’Évian sont volontairement ignorés et absents des manuels scolaires ?
En France, je ne sais pas. En Algérie, on parle des Accords d’Évian depuis quelques décennies. Cela est en rapport avec la libération de la parole historique post-1988 et son corollaire la mise en récit historique et académique du passé, notamment celui de la Guerre de Libération nationale.
Avant cette date, le 18 mars 1962 et les accords d’Évian faisaient partie des sujets qui dérangeaient. Les principaux porteurs de ces accords ont été soit marginalisés (Benyoucef Benkhedda, Saad Dahlab, etc.) soit éliminés (Krim Belkacem, le signataire de ces accords, du côté FLN).
Comment expliquez-vous toutes ces contradictions ?
Il n’y a pas de contradictions, c’est un processus objectif d’appropriation et d’instrumentalisation du passé, de l’histoire et de la mémoire. L’historien est là pour dire ce qui ressort de l’histoire. Souvent, les voix des historiens sont inaudibles. La contradiction est peut-être là…
La commission mixte algéro-française est devant un grand chantier qui n’est pas simple. Il semblerait que la question des archives est prise en charge, mais circonscrite au 19ème siècle. Ce choix peut s’expliquer par les tensions et des appréhensions au niveau des archives, notamment celle de la période 1954-1962.
Cela dit, et c’est ma philosophie, avancer à petits pas c’est beaucoup mieux que le statut-quo et l’inertie. L’avenir proche nous dira si cette commission a réussi son pari ou pas. J’espère que nos collègues de la commission tiendront le cap malgré la difficulté de la mission.
Les étudiants, les chercheurs, qu’ils soient Algériens ou Français, rencontrent-ils des obstacles pour la consultation des archives ? Pourriez-vous nous faire part de votre propre expérience à ce sujet ?
En France, les difficultés pour les chercheurs algériens sont connues : les visas, les moyens financiers, l’insuffisance des bourses (quand elles sont octroyées), la maîtrise de la langue française, un déficit dans la formation, méthodologie,…
En Algérie, l’accès aux archives a été presque cadenassé cette dernière décennie, d’où la double lettre publique des historiens et des archivistes en 2022 au président Abdelmadjid Tebboune.
Des changements importants au niveau de la Direction des archives nationales ont été effectués dernièrement. La fermeture des archives nationales est un cauchemar et nous espérons qu’il ne se répétera pas à l’avenir.