samedi, 29 juin 2024
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Azouz Begag : l’extrême droite aux portes de l’Elysée, des musulmans votent Le Pen, d’autres s’exilent

Nous reprenons ci-dessous une contribution de Azouz Begag parue le 20 juin dans le site Arabnews sous le titre « L’extrême droite aux portes de l’Elysée… des musulmans votent Le Pen, d’autres s’exilent ».

L’écrivain et ancien ministre Azouz Begag rappelle l’histoire de l’extrême droite française, son idéologie raciste et les dangers qu’elle fait peser sur les étrangers en général et les Français d’origine maghrébine en particulier. Contribution

Certaines dates gravent l’histoire politique française. Outre le 14 juillet 1789, il y a le 10 mai 1981 avec l’élection de François Mitterrand à l’Elysée, et celle du 21 avril 2002 où Jean-Marie Le Pen, vainqueur du socialiste Lionel Jospin, défiait au second tour Jacques Chirac. Pour la première fois, le Front National avait mis un pied à l’Elysée. Vingt-deux ans plus tard, le 9 juin 2024, un tsunami a ébranlé le pays : la victoire du Rassemblement national aux élections européennes.

Près du tiers des électeurs ont choisi la liste Bardella, soit deux fois plus que le parti du président Macron. Un sévère camouflet. En vérité, on s’y attendait. La macronie a beaucoup pavé le chemin du RN.

Alors souvient d’une grosse secousse, en décembre 2023, quand les lepénistes votaient en souriant le projet de Loi « Immigration » du gouvernement Macron 2, ravis de voir comment l’idéologie frontiste avait irrigué le pays avec la « préférence nationale » et l’incessante diabolisation de l’immigration : remise en cause du droit du sol, déchéance de nationalité, priorité nationale pour les aides sociales… alors qu’un an avant, réélu en 2022 contre Marine Le Pen, Macron jurait pourtant aux Français de faire barrage contre elle et ses idées. Il a échoué.

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La dissolution de l’Assemblée nationale va finir de le disqualifier. La France est en faillite morale et politique. L’extrême-droite savoure sa totale dédiabolisation. Il est aujourd’hui commun d’entendre qu’il faut essayer ce parti et que, de toute façon, les autres sont « tous pourris », usés, ils ont laissé la France partir à vau-l’eau, facilité le Grand Remplacement, bradé l’identité française, les Musulmans sont partout, qui veulent nous imposer la charia, le halal, les mosquées, le wokisme, etc.

Depuis de longues années, le seum, distillé par des médias, notamment ceux du fervent catholique milliardaire Bolloré, a efficacement contribué à normaliser l’idéologie raciste contre les arabo-musulmans. Disons-le : le synonyme de « immigrés » en France c’est « Musulmans. » Ce sont eux, éternels boucs-émissaires, épouvantails, qui vont pâtir de l’accession du RN au pouvoir.

Le plus surprenant est que l’idéologie raciste traverse les ethnies. Par exemple, le lendemain de la victoire du RN, un voisin, Mohand, d’origine algérienne, Kabyle, la cinquantaine, né en France, m’annonce qu’il a voté pour l’extrême-droite. Me voyant surpris, il se justifie et ajoute que Bardella serait en fait Kabyle par sa grand-mère, et que cette origine commune l’a ému. Lui, fils d’immigrés maghrébins, plaide que la société française si délabrée requiert d’urgence un grand nettoyage : il y aurait trop d’immigrés, d’insécurité, d’insalubrité, d’irrespect, de banditisme, de voleurs de vélos, de scooters, de casseurs de voiture, de haine anti-policiers chez les jeunes, de trafics de drogue.

Il clame : « Les Français en ont marre ! Il faut que ça s’arrête ! Bardella va s’en occuper. » Ses analyses sont dans la droite ligne de celles clamées par celui qui serait élu président en 2007, Nicolas Sarkozy, avec le nettoyage au Karcher des racailles des cités, ses slogans « immigration choisie-non subie », « la France tu l’aimes ou tu la quittes ! », la création d’un ministère de l’identité nationale et de l’immigration, débats nationaux sur la compatibilité de l’islam et de la république… autant de promesses d’un retour à l’autorité, à l’ordre et la sécurité destinées à séduire l’électorat du Frontiste.

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Depuis un demi-siècle, l’idéologie d’extrême-droite a prospéré. Sur les plateaux télé, à chaque incident, crime, émeute, impliquant les immigrés-étrangers-musulmans, les récupérations politiques surfent sur l’émotion des citoyens pour hystériser les peurs, les haines et les divisions. Tant de fois, le même scénario s’est reproduit à l’identique dans un incessant martèlement des esprits. Peu à peu, les digues républicaines ont cédé.

La lepénisation de la France est l’histoire d’un goutte-à-goutte qui a irrigué une nation devenue frileuse au fil du temps. Les gouttes ont rempli le bassin républicain. Dans les années soixante-dix, Jean-Marie Le Pen inaugurait le Front National pour défendre « la France aux Français », cinquante ans plus tard, sa fille Marine est aux portes de l’Elysée. Avec 88 députés à l’Assemblée nationale, 30 députés européens, elle écrit le destin de la république.

En costume de future présidente, elle fait désormais la loi, au sens propre. Au grand jour. Mohand mon voisin Kabyle, musulman, a donc voté pour elle et son parti. Son geste en dit long. Une question d’image, plaide-t-il. Il ne sait pas qu’en 1965, aux Etats-Unis, le leader Noir Américain Malcolm X décryptait ainsi le mode de création de l’image des Noirs par les Blancs : « Quoi qu’ils fassent (les racistes blancs), il leur faut toujours l’appui de l’opinion publique blanche… ils manipulent la presse.

Quand il s’agit d’étouffer ou d’opprimer la communauté noire, que font-ils ? Grâce aux journaux, ils livrent en pâture à l’opinion une série de statistiques. L’opinion apprendra ainsi que le taux de criminalité est plus élevé dans la communauté noire que partout ailleurs… Ils collent sur le dos de la communauté noire une étiquette de criminelle. Le seul fait d’appartenir à la communauté noire fait de vous un criminel… Autrement dit, ils parviennent au moyen d’un procédé qui est une science à « créer une image » et cette image de vous, vous paralyse. Elle vous fait honte de ce que vous êtes, tellement elle est mauvaise.

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Certains d’entre nous, qui ont assimilé, qui ont intégré, qui ont absorbé cette image négative, finissent par ne plus pouvoir supporter la vie dans la communauté noire. Ils ne supportent même plus la compagnie des noirs. [..] »

L’analyse est toujours pertinente de nos jours. La haine des musulmans repose encore sur une image qu’on a construit d’eux.

Si Mohand le Kabyle a voté RN, c’est parce qu’il considère que les comportements d’une partie des Arabo-musulmans en France compromettent sa propre intégration. Il n’est pas un cas isolé. Certes, on sait que les deux-tiers des Musulmans ont choisi LFI, la France Insoumise, aux Européennes, du fait de ses positions propalestiniennes dans la guerre à Gaza, mais comme le reconnait le recteur de la Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, nombreux sont ceux qui ont choisi le RN, dans une proportion proche de la moyenne nationale.

C’est un fait nouveau. Il reste que malgré le contexte, il y a néanmoins des chances que la gauche, avec le Nouveau Front Populaire, remporte les élections législatives. Cependant, pour longtemps encore, en France, les Arabes, Musulmans et autres immigrés, sub-sahariens en particulier, resteront dans le collimateur d’une partie de l’électorat. Naguère une chance pour la France, l’immigration est désormais vue comme un véritable « problème ».

Il est au cœur des enjeux politiques. Ceux qui n’aiment pas la France n’auront qu’à bien se tenir. Qu’ils la quittent s’ils trouvent mieux ailleurs ! Certains d’ailleurs n’ont pas attendu pour le faire.

Contrairement à Mohand le Kabyle qui a choisi de rester en France avec Bardella, beaucoup d’enfants d’origine maghrébine s’exilent depuis des années, dans un mouvement qui s’est amplifié depuis les attentats de 2015 à Paris, et davantage encore depuis le 7 octobre dernier, après l’attaque du Hamas sur le territoire israélien. Sur ce thème, la sortie récente d’un livre, La France, tu l’aimes mais tu la quittes (le Seuil), éclaire la question de l’islamophobie. Il relate une enquête sur ces jeunes Français musulmans qui partent vivre à Londres, Dubaï, Doha, Djeddah, New York, Casablanca, Montréal… Ces diplômés de l’enseignement supérieur, techniciens, cadres, ingénieurs, médecins s’installent dans des pays où seuls sont reconnus leurs talents professionnels et leurs mérites.

La stigmatisation qu’ils subissent dans l’emploi en raison de leur religion, leurs noms, leur adresse a eu, pour 68% d’entre eux, raison de leur amour de la France. Dans les années à venir, les pays du Golfe profiteront des savoir-faire européens de ces jeunes en quête de pays frères où leur identité est respectée en même temps que leurs qualités.

Azouz Begag

Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS. X: @AzouzBegag

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