jeudi, 21 novembre 2024
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Béjaïa : le rôle des événements du 19 Mai 1981 dans la structuration des luttes

Le doctorant en sociologie Samir Larabi revient dans cette contribution à Diasporadz sur les événements du 19 Mai 1981 à Béjaïa et leur rôle dans la structuration des luttes.

Contrairement aux événements d’avril 1980, peu d’écrits ont été consacrés aux manifestations du 19 mai 1981 à Béjaïa et à Alger. Au jour d’aujourd’hui, aucun ouvrage n’est consacré au mouvement populaire du 19 mai 1981 soit par les acteurs du moment, des chercheurs ou essayistes.

Pourtant, les événements du 19 mai 1981 ont largement contribué à l’ancrage de la revendication amazighe, des revendications démocratiques et sociales à Béjaïa. Ce mouvement a contribué aussi à l’émergence de nouveaux acteurs jeunes et contestataires, notamment chez la jeunesse scolarisée.

C’est aussi cette jeunesse contestataire (aux allures et esprit soixante-huitard) qui participera, quelques années plus tard, à enclencher un processus de refondation de l’action culturelle (théâtre, musique, etc.), édition et diffusion de revues, la refondation de l’action syndicale et politique.

C’est la somme de ces luttes engagées depuis mai 1981 et ses connexions politiques qui vont constituer l’ossature de l’ensemble des luttes politiques qui ont marqué la région de Béjaïa et au-delà de cette wilaya, notamment à l’est du pays comme Sétif, Constantine, Batna, Annaba.

En effet, la ville de Béjaïa a été le théâtre de grandes manifestations en ce 19 mai 1981, date commémorative de la journée nationale de l’étudiant. Les manifestations publiques ont été vite réprimées et avec brutalité. Des émeutes éclatent et des arrestations massives ont été enregistrées, notamment chez les acteurs issus de la population lycéenne.

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A l’origine des événements du 19 mai 1981, des rumeurs sur le « détournement » du projet d’université de Béjaïa

Le même jour, plusieurs grèves ouvrières dans le secteur économiques et dans la Fonction publique ont été enregistrées en guise de solidarité avec le mouvement populaire. Certes, les acteurs et les organisateurs de la marche étaient déjà engagés dans le passé pour la libération des détenus politiques d’avril 1980, mais les motifs invoqués sont liés à des rumeurs concernant le « détournement » du projet de construction d’une université dans la wilaya de Bejaïa.

Quant à l’organisation de la marche, «elle s’est faite aussi avec le concours d’étudiants universitaires originaires de la wilaya de Béjaïa qui faisaient leurs études à l’université de Sétif et de Tizi-Ouzou»1.

Des témoignages d’autres acteurs confirment l’implication importante des étudiants de l’université de Sétif. «En 1981, nous étions déjà organisés dans le cadre du comité culturel à l’université de Sétif. On a joué un rôle important dans les mobilisations pour la marche du 19 Mai 1981 et ce, en liaison avec les groupes établis à Béjaïa autour de Nacer Boutrid, des étudiants de Constantine et d’Alger»2.

La démarche démontre une bonne préparation de l’action et sa mise en réseau du collectif militant dans le secret total. Ces acteurs ont aussi pratiqué un certain « entrisme » dans les organisations de masse du parti unique (FLN), comme l’Union nationale de la jeunesse algérienne (UNJA), en utilisant leurs locaux et moyens, selon les témoignages de plusieurs organisateurs, comme Mohand Larbi Boutrid dit Nacer (Chouali, 2014)3.

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Selon Madjid Amokrane, ancien président du MCB-Coordination nationale et acteur des événements du mardi 19 mai 1981, «l’organisation de la manifestation du 19 mai 1981 n’est pas venue du néant, elle s’est faite sous l’égide du Comité populaire de Béjaïa. Un comité qui a fait un travail de coordination important entre les étudiants et lycéens de Béjaïa. Ces contacts et ce travail des coordinations se sont faits grâce au travail de Mohand Sadek Akrour qui avait des liens avec les lycéens et les étudiants natifs de Béjaïa qui font leurs études à Alger, à Boumerdès, à Sétif et à Constantine. Des contacts ont été établis aussi dans les quartiers de la ville de Bejaïa, dans les entreprises et dans plusieurs communes»4.

Les revendications du mouvement sont « Non au détournement du projet de l’université de Béjaïa », « Tamazight langue nationale et officielle », « Le vrai socialisme, la démocratie, les droits de l’homme… »5.

De son côté, Mohand Sadek Akrour témoigne : « Nous avons repris essentiellement les revendications rédigées lors du séminaire de Yakouren. La revendication d’une université dans la wilaya de Béjaïa avait un intérêt politique pour nous. Car nous avons besoin d’espaces de liberté, nous avons besoin d’espaces de réunions pour discuter politique et élargir notre champ d’action. Nous voulions aussi que cette université de Béjaïa soit réellement un centre de rayonnement scientifique et politique. Pour rappel, c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’une population sort dans la rue pour revendiquer une université.6 »

Les récits des acteurs ayant organisé la manifestation du 19 mai 1981 à Béjaïa, notamment de Mohand Sadek Akrour, qui a joué un rôle central dans l’organisation de cette manifestation publique, attestent une certaine résilience malgré leur jeunesse et leur manque d’expérience politique. Une résilience qui s’est exprimée par l’organisation clandestine, les capacités de mobilisations et le caractère pacifique comme mode de lutte politique.

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Mais l’idée centrale qui ressort de cette expérience politique, c’est d’avoir une université au niveau local et se l’approprier pour qu’elle soit un lieu de rayonnement culturel et politique pour l’ensemble de la région. C’est aussi de construire cette centralité politique, comme cela a été le cas autour de l’université d’Alger et de Tizi-Ouzou en avril 1980.

A cet effet, ce qu’il faut retenir de ce mouvement populaire ce n’est pas l’émeute et les affrontements, mais cette quête permanente pour la construction politique et la création de nouveaux rapports de forces politiques aux niveaux régional et national.

Ce n’est sûrement pas un hasard si on retrouve les traits de cette expérience politique lors du mouvement populaire de 2001 avec le Comité populaire de la wilaya de Béjaïa (CPWB) ou dans le Hirak populaire à Béjaïa. Aussi, il faut souligner le rôle central qu’ont joué ces jeunes acteurs dans la construction et l’encadrement des organisations politiques, pendant la clandestinité et après la consécration du pluralisme politique en 1989.

Enfin, nous avons besoin, aujourd’hui plus que jamais, de produire des études et des ouvrages sérieux consacrés au mouvement populaire du 19 mai 1981 à Béjaïa pour sauvegarder notre mémoire collective et tirer les enseignements nécessaires pour éclairer d’avantage ceux qui veulent construire les luttes à venir.

Samir Larabi (Doctorant en sociologie)

Tract-appel à la manifestation du 19 mai 1981 à Béjaïa 7

Nous appelons toute la population, étudiants, travailleurs et chômeurs à une manifestation pacifique qui aura lieu le 19 Mai 1981 pour dire : 
– Oui au vrai socialisme.
– Oui à la liberté d’expression.
– La libération de tous les détenus d’opinion et ce sans condition.
– Non à la répression et aux arrestations arbitraires. 
– Non au détournement du projet de construction de l’université de Bejaia.
– Oui à Tamazight et l’arabe algérienne, langues nationales et officielles.
L’UNION FAIT LA FORCE !

  1. Aziz Tari, ancien militant du MCB et ex-détenu des événements d’Avril 1980 et du 19 Mai 1981. ↩︎
  2. Chouali Boualem. Le Printemps de Béjaïa, in le quotidien lexpressiondz.com. Article posté le 2014-05-18 ↩︎
  3. Makhlouf Laïb, ancien militant du MCB, ex-membre du conseil national du RCD et ex-Directeur des Services agricoles (DSA) de Béjaïa, Tizi-Ouzou et Médéa. ↩︎
  4. Témoignage de Madjid Amokrane, ancien président du MCB-Coordination nationale et animateur du mouvement du 19 Mai 1981 sur la chaîne Berbère Télévision (BRTV). ↩︎
  5. Témoignage de Madjid Amokrane, ibid. ↩︎
  6. Mohand Sadek Akrour, ancien militant du MCB et ex-maire de la commune de Barbacha (Béjaïa). ↩︎
  7. Source de Zoubir Terki, l’un des animateurs et détenus du 19 Mai 1981 à Béjaïa. ↩︎
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