Le poète Ben Mohamed, de son vrai nom Benhamadouche Mohamed, fait partie de ces poètes à la verve franche et brillante. Il parle sans détours avec un charisme digne des poètes légendaires.
Nous avons pu le constater, invité de l’écrivain Youcef Zirem au café littéraire parisien de l’Impondérable, où le poète Ben Mohamed a su captiver le public en parlant de son parcours dans le champ culturel berbère et de son expérience riche et mouvementée à la Radio kabyle Chaîne 2.
On peut dire que Ben Mohamed a l’art de la rhétorique, alimentant son argumentation d’anecdotes laissant l’assistance dans l’émerveillement.
Il nous raconte qu’à huit ans, il assiste émerveillé avec son père à un récital de Slimane Azem dans un restaurant d’At Wacif. Il sortira de là avec un fascicule où des chansons de Slimane Azem étaient transcrites en caractères latins.
Le destin de poète de Ben Mohamed fut scellé ce jour-là. On a appris aussi que c’est grâce à Mohamed Hilmi qu’il fit sa première émission de radio.
L’affaire Sliman Azem
On ne pouvait évidemment pas évoquer la Chaîne 2 sans parler de la censure qui y a durement sévi et de Slimane Azem qui en a payé le prix fort, puisque celui-ci fut interdit d’antenne et jugé Persona non grata de 1967 jusqu’à l’ouverture politique de 1988.
Youcef Zirem n’a pas manqué de poser cette question cruciale à ce témoin de l’époque sur la censure touchant le légendaire Slimane Azem, l’un des plus grands poètes chanteurs du XXe siècle.
Ben Mohamed semblait s’attendre à cette question. Il nous rappelle ce que Kamel Hamadi ne cesse de dire, que l’interdiction n’était pas officielle, qu’une main malveillante a ajouté au stylo le nom de Slimane Azem sur une liste adressée par le ministère de l’information.
Nous étions en 1967 pendant la guerre des six jours, et cette liste concernaient les chanteurs français ayant apporté leur soutien à Israël.
Le directeur de la radio de l’époque n’a pas cherché à savoir qui avait ajouté le nom de Slimane Azem sur la liste, mais a inclus Slimane Azem dans l’interdiction, la loi du silence était tombée comme un couperet, personne n’osait en parler.
Une interdiction qui a brisé Slimane Azem que l’exil n’avait déjà pas épargné, personne n’a essayé d’éclairer les zones d’ombre, d’ailleurs même les écrivains et intellectuels de l’époque se sont tus.
Cette histoire d’ajout au stylo n’a évidemment convaincu personne. Puis Ben Mohamed nous raconte ses mésaventures avec la radio, on a censuré plusieurs fois ses émissions. Il est le premier à avoir invité Matoub Lounès, ce qui lui a coûté la suppression de son émission.
Puis Ben Mohamed nous raconte une autre anecdote concernant l’un des directeurs de la radio qui voulait donner une part importante au chant religieux, sous les conseils de bouffons de la radio espérant s’attirer ses faveurs.
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Il fait venir le grand Mokrane Agawa spécialiste du genre, mais quand celui-ci arrive et entre dans le bureau tel un gentleman, à peine assis, que le directeur lui dit qu’il est ignorant, comme un âne, concernant le chant religieux.
Mokrane Agawa se lève brusquement et s’en va en lui laissant ces mots : « Je ne suis pas venu ici pour parler avec un âne. »
La salle est hilarante à ce moment-là, puis Ben Mohamed nous parle de ces projets d’écriture, 3 livres en perspective, dont l’un regroupera les poèmes chantés par les artistes puisque certains n’évoquent jamais l’auteur de leurs chansons.
Brahim Saci