« D’Alger à Nouméa : 1871 sur les pas d’un rebelle kabyle », de Waghlis Madjid Cherifi, paru aux éditions Yoran, raconte en filigrane l’histoire de ces Algériens déportés en Nouvelle-Calédonie, dans le Pacifique.
Si l’histoire de la Commune est connue, avec la défaite des communards et leur déportation vers les bagnes de Nouvelle-Calédonie, on sait moins que des Algériens qui participèrent à la résistance à la colonisation par la France, furent aussi concernés par ces mesures d’éloignement.
Et s’il y avait parmi les déportés d’authentiques malfaiteurs, assassins, repris de justice, il y avait parmi eux des hommes qui n’avaient pas grand-chose à se reprocher. Ils avaient seulement été des opposants politiques, des résistants à l’autorité ou à la colonisation.
Plusieurs centaines d’Algériens furent déportés dans les bagnes de l’île. Une fois leur peine de travaux forcés effectuée, ils doublaient celle-ci en travaillant dans des fermes pénitentiaires. Ensuite, une concession leur était attribuée, un lopin de terre qu’ils cultivaient et qui leur permettait de vivre chichement.
Ces hommes étaient ce que l’on appelle « les Algériens du Pacifique ». La plupart d’entre eux finirent leur vie dans l’île, certains se marièrent et eurent des enfants, constituants ainsi des lignées calédoniennes. Beaucoup finirent dans la misère et le malheur.
Il faut noter que ces déportations ne concernent pas uniquement la période de la fin de la Commune. Des Algériens furent déportés après chaque insurrection contre les Français : en 1864 (Sud oranais), 1876 (El Amri), 1879 (Les Aurès) et 1880-1882 (Sud oranais). Ils furent amnistiés en 1895.
L’auteur W. Madjid Cherifi raconte l’histoire de Slimane qui recherche son père. Ce dernier, rebelle kabyle, fut arrêté après la révolte de 1871 qui fut la première grande révolte contre la colonisation.
Enfant, il vit son père brutalement enlevé par les forces de l’ordre. Après un jugement sommaire, celui-ci fut condamné à une peine de travaux forcés et déporté au bagne de Nouvelle-Calédonie.
La mère se retrouve seule avec une famille à charge. Pour subvenir aux besoins des siens, elle s’épuise au travail. Elle est courageuse, mais elle tombe malade et meurt, laissant Slimane seul. L’enfant passe quelques années dans la famille de son oncle paternel, mais la tante ne l’aime pas et lui rend la vie impossible. Slimane quitte cette famille et mène une vie difficile à Alger puis en France où il parvient à travailler et à économiser suffisamment pour payer un billet pour aller en Nouvelle-Calédonie, là où il sait que son père vit.
Il y retrouve cet homme qui lui raconte ce qu’a été sa vie, d’abord dans l’enfer du bagne, puis un peu plus douce, en travaillant une terre qui lui avait été attribuée et en fondant une famille.
Mais cet homme est brisé : par les épreuves endurées alors qu’il n’était pas malhonnête, par le sentiment d’avoir abandonné sa famille en Algérie, sans même savoir ce qu’ils étaient devenus.
« Tu sais, fils … en vingt ans d’exil, il ne se passait pas une nuit où je n’avais pensé à vous ; dans mes insomnies, mes heures sombres, dans les carrières à me dire à chaque fois : que deviennent-ils ? Sont-ils protégés ? Sont-ils encore vivants ? »
Et le père raconte au fils ce qu’il a vécu : un voyage extrêmement dur, au cours duquel de nombreux compagnons sont morts. Ensuite une vie de labeur, de souffrances :
« Dans ces lieux, devenus une sorte de négation de la vie, on tue l’intelligence, on chasse les lumières, on bannit la création. On assassine aussi les âmes en les expurgeant de toute bonté, puis on s’attaque lentement aux corps, en les affaiblissant jusqu’à reléguer ces pauvres « Galeotti » au statut de bêtes dont la seule préoccupation était la lutte pour la survie. »
Il raconte aussi son simulacre de procès, alors qu’il risquait une peine extrêmement lourde :
« En deux coups de cuiller à pot … le juge expédia mon procès. Je fus condamné sans défense, à la réclusion criminelle à perpétuité, suivie d’une déportation en Nouvelle-Calédonie. Le verdict était sans appel … une vraie couillonnade. »
Ce récit, écrit dans un style propre à l’auteur, présente un double intérêt. D’une part, c’est l’histoire émouvante d’un homme qui se lance dans une sorte de voyage initiatique, à la recherche de la racine essentielle, celle du père. D’autre part, il a le mérite de rappeler la mémoire et l’histoire de ces Algériens du Pacifique, souvent injustement condamnés. Ils furent les victimes de l’injustice et de l’inhumanité.
Robert Mazziotta