De passage au Café littéraire parisien L’Impondérable de l’écrivain Youcef Zirem, l’auteur en langue amazighe Daoud Mekhous a croisé la route de notre ami le poète et journaliste Brahim Saci qui a tenu à l’interviewer. Entretien
Entretien réalisé par Brahim Saci
Diasporadz : Vous êtes un auteur prolifique, qui est Daoud Mekhous ?
Daoud Mekhous : Je m’appelle Daoud Mekhous, j’ai grandi dans les bras des sommets des montagnes de Kabylie, fils d’une famille paysanne, du village Aghalad Imedjat, Laarch n’At Brahem de la commune D’Ain Alegradj At Wertilane, dans la wilaya de Sétif.
Je suis né au printemps, lorsque les fleurs printanières fleurissent partout, les arbres sont feuillus, la couleur verte se mélange aux couleurs des fleurs et la beauté de la nature est tissée et héritée, encore une fois, célébrant la vie et cela arrive chaque printemps.
D’une bénédiction verte à une saison sèche et glaciale, ma vie fut soudainement bouleversée, transformée en enfer, je n’avais que huit mois lorsque je fus brûlé accidentellement, tranchant l’innocence, échappant de justesse à la mort, mon visage et ma main gauche furent grièvement brûlés, depuis, je souffre chaque fois que je vois un feu, non parce qu’il m’a brûlé, mais parce qu’il me rappelle les stigmates laissés sur mon visage et sur ma main, des cicatrices qui m’ont volé mon enfance.
C’est péniblement, avec sueur et courage que je suis arrivé au baccalauréat que je n’ai pas obtenu à cause de mes besoins médicaux. Mais j’ai appris beaucoup au lycée où j’ai fait de belles rencontres, s’est développée cet amour pour les livres et la lecture, je traduisais les poèmes des poétes Arabes en kabyle que je transcrivais en Tifinagh.
J’allais au contact des écrivains en langue Amazighe, assistant à des conférences sur la culture amazighe, j’ai été notamment très influencé par Tahar Oussedik, j’ai eu la chance d’assister à l’une de ses conférences à Beni Ourtilane en 1994, peu avant sa mort survenue le 26 octobre 1994.
Tahar Oussedik a laissé de précieux livres, Apologues, Oumeri, Bou-Beghla : (l’homme à la mule) : le mouvement insurrectionnel de 1850 à 1854, Le royaume de Koukou, Les poulains de la liberté, 1871 : mouvement insurrectionnel de 1871, L’la Fat’ma N’Soumeur, Des héroïnes Algériennes dans l’histoire.
Ma passion pour les livres s’est agrandie, je lisais des romans en arabe à cette époque, il n’y avait pas beaucoup de livres en Kabyle, même si j’ai lu le livre, Askuti, de Said Sadi, qui est le premier livre que j’ai lu en kabyle, je lisais aussi des magazines, Asalu, ACB…, Je me suis fait la promesse décrire dès le premier moment favorable, particulièrement dans ma langue maternelle, le kabyle.
L’opportunité s’est présentée avec ma réussite au concours de Superviseur d’éducation, mon rêve a donc commencé à se réaliser. J’ai commencé à travailles au CEM Beni Brahim. Les projets d’écriture ont alors occupé mon esprit. J’étais membre de plusieurs associations locales, la plus récente étant l’association du tourisme D’Ain Alegradj dont j’étais le secrétaire général, nous avons travaillé avec des étrangers dont la Fondation Abbé Pierre et l’association française génération 2010, nous avons pu construire 18 logements à caractère social pour les nécessiteux, grâce à l’aide précieuse de ces associations.
Notre association ATA a commémoré et mis en avant le patrimoine culturel de la région avec des festivals et des fêtes à chaque occasion. Tout mon vécu a agi comme un terreau nourrissant l’imagination et l’inspiration pour faire germer les livres.
Diasporadz : En vous lisant, on sent que la littérature kabyle a encore de beaux jours, comment arrivez-vous à partager votre passion avec le lecteur ?
Daoud Mekhous : Le lecteur de mon pays, surtout dans notre région, est généralement bon et généreux mais très exigeant quant à la qualité des publications, romans, nouvelles, récits, poésie.
On constate qu’il y a beaucoup plus de lecteurs depuis l’introduction de notre langue dans les écoles, lycées et universités, dans la recherche scientifique, par l’écriture avec alphabet latin, notamment avec l’introduction des romans dans les mémoires de fin d’études et de recherche pour les étudiants.
Mes romans sont ainsi inscrits dans les mémoires de fin d’études, notamment dans les universités de Bejaia, Tizi Ouzou, Boumerdes, Bouira, et même dans les universités de Batna et d’Algérie, ce qui m’encourage à écrire davantage.
Diasporadz : Pourquoi ne pas écrire en Tifinagh ?
Daoud Mekhous : On valorise la langue par sa fixation à l’écrit. L’alphabet latin est pratiqué, surtout en Algérie, depuis plus d’un siècle. Certains se posent la question, mais l’adaptation de l’alphabet latin est la plus usitée principalement en Algérie dans la plupart des publications littéraire et scientifiques, ce qui permet d’écrire le berbère de la même façon, quel que soit la langue. Le souci de définir de diffuser une graphie à base latine, usuelle a été partagé par tous les berbérisants et producteurs autochtones depuis le début du XXème siècle.
La graphie berbère avec l’alphabet latin tend à se stabiliser et à s’homogénéiser, grâce à des travaux scientifiques, les travaux d’A. Basset (dans les années 1940 et 1950), celle du Fichier de Documentation Berbère en Kabylie (de 1947 à 1977), de l’œuvre et de l’enseignement de Mouloud Mammeri, et enfin, depuis 1990, celle de l’INALCO, (Institut National des Langues et Civilisations Orientales), ont été décisives ce qui a permis de réduire les divergences dans la graphie des langues berbères. La quasi-totalité de l’enseignement, des publications et des éditions se fait en caractères latins. C’est en fait le système le plus facile à adapter à la structure de la langue et c’est le système qui répond le plus au critère d’universalité.
Diasporadz : Vos livres sont époustouflants, comment faites-vous pour passer d’un genre littéraire à un autre avec cette facilité déconcertante ?
Daoud Mekhous : Tout d’abord, je salue tous mes chers lecteurs. J’adore lire, des livres, des histoires, de la poésie, des romans, des nouvelles, je suis un grand passionné de la littérature.
Un écrivain ne peut pas composer un roman sans lire, car à travers la lecture, l’écrivain ou le romancier tire ses idées de choses existantes et les établit dans le monde de l’imagination et de la représentation avant de commencer à écrire et de les imaginer comme un film cinématographique, et elles se cristallisent dans son esprit jusqu’à ce qu’il établisse une imagination précise.
Ainsi, lire des livres, des romans, des histoires et même de la poésie, mais aussi regarder des films, des documents cinématographiques, écouter la nature, écouter de la musique et des musiciens aident l’écrivain en diversifiant dans son esprit des méthodes, des objets et les fondements de l’imagination pour que le cœur puisse battre, que l’esprit puisse penser et que la main puisse écrire.
Diasporadz : Beaucoup se plaignent d’un manque de lecteurs, quel est votre avis ?
Daoud Mekhous : Le manque de lecteurs, surtout dans notre pays est dû à plusieurs facteurs, parmi lesquels la méthodologie de l’éducation, qui commence dans les écoles primaires, et l’orientation actuelle des écoles vers l’arabisation de manière plus objective dans tous les domaines.
La langue berbère a longtemps été marginalisée, ce qui a affecté la lecture et le manque d’installations culturelles, récréatives et sportives qui construisent une pensée dialogique solide pour l’enfant. Les circonstances sociales difficiles de la famille et le déséquilibre entre croissance économique et développement social sont aussi des facteurs qui jouent un rôle dans le manque de lecteurs. Mais les chose s’améliorent tout n’est pas noir.
La généralisation de tamazight sur le territoire national constitue un facteur favorable à l’augmentation du lectorat en langue tamazight, particulièrement en kabyle. Nous constatons une augmentation du lectorat en langue amazighe.
Diasporadz : L’Algérie est un pays qui se recherche, en proie aux bouleversements, mais qui mérite beaucoup mieux, la littérature peut-elle aider à l’émergence d’un nouveau souffle ?
Daoud Mekhous : Evidemment, un pays comme l’Algérie est un continent qui possède tous les atouts, les fondements et les conditions pour une vie bonne et meilleure, comme beaucoup de pays dans le monde, il possède des trésors souterrains et aériens et il possède également les énergies de la jeunesse si elles étaient exploitées de la meilleure façon ou utilisées comme énergie pour la construction, c’est un potentiel inépuisable.
Aujourd’hui nous pourrions beaucoup mieux vivre, mais malheureusement, nous voyons toute une jeunesse dans une paupérisation insupportable, mourant sur les mers à la recherche d’un avenir meilleur, ceux qui ne périssent pas en mer découvrent que l’eldorado convoité n’est parfois qu’une illusion, le constat est souvent amer.
Les conditions de vie se dégradent, la cherté de la vie est insupportable. Les mendiants jeunes et moins jeunes remplissent nos rues. L’Algérie ce beau pays est encore un pays qui se recherche, il peut faire beaucoup mieux c’est certain et ce ne sont pas les énergies qui manquent.
Diasporadz : Quels sont les auteurs qui vous influencent ?
Daoud Mekhous : Dans les années quatre-vingt-dix, je lisais de nombreux auteurs et traducteurs arabes, Al-Manfaluti, Al-Majdulin, Al-Sha’ar, Al-Fadhila et d’autres. Ces dernières années, j’ai lu de nombreux romans dont Askuti de Saïd Saadi, Mmis N Igellil de Mouloud Feraoun, traduit par Moussa Ould Taleb, IḌ D WASS, Tagrist, urɣu de Amar Mezdad, Tiziri de Zohra Aoudia, Amsebrid de Chabha Ben Gana.
Le romancier qui m’a beaucoup influencé c’est Aumer U Lamara, Tagara n Yugurten, Aqadir n Roma.
Diasporadz : Avez-vous des projets en cours et à venir ?
Daoud Mekhous : Le niveau littéraire a commencé à s’élever de plus en plus au niveau de la littérature amazighe, c’est une très bonne chose.
J’essaie de terminer un roman fantastique en kabyle, que j’ai commencé en 2019, ce sera le premier de ce genre en tamazight.
J’ai d’autres projets, un recueil de nouvelles et de poèmes, et même un projet d’écriture d’un scénario pour le roman, Tirga n Lḥif, sur le phénomène de la Harraga.
Diasporadz : Un dernier mot peut-être ?
Daoud Mekhous : Tout d’abord, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer sur un sujet pertinent, le livre, dont la bonne santé détermine le bonheur d’une société. Toute littérature améliore et aide une société dans son émancipation, et à l’émergence d’une nouvelle conscience vers un avenir meilleur où le bonheur sera à portée de tous. Le livre réconcilie l’être humain avec lui-même et le rend meilleur. L’augmentation du lectorat en langue amazighe montre que le peuple algérien dans sa diversité linguistique se réapproprie sa culture amazighe plusieurs fois millénaire, et retrouve son imaginaire amazigh. Mouloud Mammeri disait « une culture n’est pas un patrimoine, une culture n’est pas un héritage. Une culture c’est quelque chose que l’on vit, et c’est quelque chose que l’on fait vivre. »
L’Algérie est un immense pays, la porte de l’Afrique, l’espoir est permis.
ENTRETIEN REALISE PAR BRAHIM SACI