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Diaspora ou émigration algérienne en France ?

Ahmed Rouadjia

Ahmed Rouadjia est Professeur d’histoire et de sociologie politique. Photo DR

Comment qualifier les Algériens de France ? Diaspora algérienne ou émigrés-immigrés ? Selon moi, le second terme de l’équation convient le mieux pour qualifier cette réalité qui relève de l’exil forcé, d’ordre économique et social.

Le nom de diaspora algérienne est donc impropre pour caractériser la communauté nationale établie en France et ce terme ne s’applique historiquement qu’aux communautés ethniques ou religieuses dispersées depuis les temps immémoriaux à travers le monde, comme la communauté juive.

Vus côté algérien, ces exilés, surtout de la première heure, sont des émigrés ; vus côté français, ils sont des immigrés, des étrangers venus en France, soit par le biais des entreprises françaises au lendemain de la Première et de la Seconde Guerre mondiale pour participer à la reconstruction de la France sortie exsangue de ces conflits, soit par le truchement des accords conclus après l’Indépendance entre la France et l’Algérie (Accord franco-algérien du 27 décembre 1968).

Les immigrés algériens, objets chauds

Ces émigrés algériens sont, depuis des décennies, l’objet de virulentes passions, de débats chauds, de rejets et de stigmates de toutes sortes. Ils sont perçus par une large opinion comme de « trop ». Beaucoup, et pas seulement l’extrême droite, voient leur présence en France comme illégitime, et partant source de menace contre l’identité française.

La croissance de leur nombre, soit par la fécondité, soit du fait de l’immigration légale et clandestine, est souvent agitée par de nombreux hommes politiques comme un spectre, et certains chercheurs qui se targuent d’être animés par une approche purement scientifique ne sont pas en reste.

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Les chiffres, entre autres, dont la démographe Michèle Tribalat et consorts ont fait leur cheval de bataille, servent pour discréditer en particulier l’immigration algérienne en décrivant la deuxième et la troisième génération qui en sont issues comme inadaptées et inassimilables.

Les chercheurs que cette immigration algérienne et sa descendance alarment sont nombreux et participent de la détestation de l’Algérien. L’historien français Daniel Lefeuvre (mort en 2013) faisait partie de ces chercheurs pour qui les immigrés algériens constituaient une menace pour l’identité de la France, laquelle devrait « en finir avec la repentance ».

Ce nombre d’Algériens qui épouvante la France

La rumeur, la fausse, participe également de l’amplification du nombre d’Algériens en France, nombre qui suscite fantasme, inquiétude et peur chez bon nombre de Français.

N’a-t-on pas attribuer à l’ex-ambassadeur de France en Algérie, Bernard Emié, des choses qu’il n’avait pas dites à propos de la démographie algérienne en France ? La rumeur dit bien qu’il avait déclaré le 3 février 2015 à l’Université de Tlemcen, que le nombre d’Algériens en France s’élèverait  à 7 millions d’individus. Ce propos fit alors les choux gras des sites de l’extrême droite pour crier à « l’envahissement » de la France par « les hordes musulmanes ». Vérification faite, il s’était révélé que cette phrase attribuée au diplomate en question relevait plus de « la fausse rumeur » que de la vérité.

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L’Algérie officielle exagère également ce chiffre comme si elle voulait démontrer qu’elle dispose d’un levier de pression politique sur Paris. Le président Abdelmadjid Tebboune n’avait-il pas déclaré en 2020 que « près de 6 millions d’Algériens vivent en France » ? 

Chacun manipule à la hausse le chiffre des émigrés-immigrés selon ses visées particulières. Mais ce qui nous importe en l’occurrence n’est pas l’importance quantitative, mais qualitative de la « diaspora algérienne ».

Les vrais et les faux chiffres

Au-delà de ces chiffres fantaisistes, il nous faut se reporter à des données plus proches de la réalité. En 2011, le nombre d’Algériens présents sur le sol français était déjà assez exagéré des deux côtés de la rive méditerranéenne : 1,5 million selon la France et 4 millions selon l’Algérie.

Mais, comme le notent certains observateurs fort scrupuleux, « il est extrêmement difficile de donner des chiffres car des Algériens ont pris la nationalité française, d’autres entrent dans le lot des clandestins, et il y a aussi constamment des arrivées régulières et des départs. Actuellement il y aurait en France autour de 700 000 Algériens – des personnes de nationalité algérienne. Actuellement encore cette immigration est loin d’être négligeable, même si elle a beaucoup diminué – elle est estimée à 30 à 40 000 par an. »

Quoi qu’il en soit, les chiffres les plus crédibles sont en fait sont ceux avancés par deux organismes de recherche français : l’INSEE et l’INED.

En 2013, l’INSEE évalue à 476 000 personnes de nationalité algérienne présentes en France. Ce nombre n’inclue évidemment pas leurs descendants nés sur le sol français. A titre indicatif, on peut également signaler le nombre d’électeurs algériens en France qui pourraient avoir la double nationalité : en 2014, ils seraient de l’ordre de 815 000.

En 2019, le même INSEE dénombrait 846 400 immigrés algériens établis sur le territoire français, dont beaucoup y sont depuis de longue date. La même année, l’INED donnait le chiffre de 1 207 000 d’enfants nés en France de parents algériens.

Toujours en 2019, l’INSEE indiquait que sur les 7,6 millions de personnes nées en France d’au moins un parent immigré, il y avait 1,2 million qui étaient d’origine algérienne. « En ce qui concerne les petits-enfants d’immigrés algériens (« troisième génération »), la démographe Michèle Tribalat estimait leur nombre à 563 000 en 2011, un volume ayant sans doute augmenté depuis dix ans. En ajoutant ces chiffres à ceux des immigrés officiellement recensés, on peut estimer que la diaspora algérienne en France représente 2,6 millions de personnes … »

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Il est vrai par ailleurs que la famille algérienne en France demeure prolifique, et rien ne sert à cacher cette vérité. François Heran, ex-chercheur de l’INSEE, puis directeur de l’INED, devenu professeur au Collège de France, estime le taux de fécondité des femmes algériennes établies en France, en 2014, à 3,69 par femme, soit le double des femmes non-immigrées (1,88 enfant), tandis que l’indice observé en Algérie est inférieur à celui de l’algérienne immigrée (soit 3 enfants par femme !).

Une importance plus numérique que qualitative de la diaspora algérienne en France

De ce qui précède, il apparait que le nombre d’immigrés algériens en France et leur descendance va croissant. Entre 1946 et 1972, leur nombre sur le sol français a été multiplié par 33. Et entre 1946 et 1954, il l’a été par 10, passant de 22 000 à 210 000. Il augmente encore fortement au cours de la Guerre d’Algérie, pour atteindre 350 000 en 1962.

Mais cette importance quantitative ne s’est pas accompagnée d’une évolution qualitative. La discrimination qui frappe les Algériens en matière d’emplois, de logements décents, d’instruction, n’est pas faite pour qu’ils puissent s’intégrer (pour ne pas dire s’assimiler) dans la société française.

Ces discriminations constituent des facteurs d’exclusion et de marginalisation, qui touchent en particulier la seconde et la troisième génération, et dont la dépolitisation qui se reflète à travers leur absence sur les listes électorales les handicape en tous points de vue.

L’échec scolaire dont ils souffrent est patent. En 2008, on relève que 24% de la tranche d’âge de 20-35 ans nés de parents d’immigrés algériens ne disposaient pas de diplômes au-delà du brevet, soit deux fois plus que leurs pairs français de « souche » (11%), selon l’INSEE.

En plus  de leurs « diplômes » dépréciés par le marché du travail, s’ajoute la discrimination qui les frappe du fait de leur faciès. C’est ce délit de faciès qui les pousse au repli identitaire et à la quête d’allégeance imaginaire. Souvent, ces jeunes rejetés par la société et exclus du marché de l’emploi, se trouvent malgré eux tiraillés entre deux identités antinomiques.

On reproche à ces jeunes leur refus de s’intégrer dans la société française, et pourtant c’est cette société même qui les exclue et les marginalise de facto, et parfois de jure. Cette exclusion se mesure à l’aune du taux du chômage qui les touche de plein fouet : ce taux affecte les hommes de 18-24 ans nés en France de parents immigrés d’Algérie ; il atteignait 45,8% entre 2007 et 2009, « soit le plus haut pourcentage parmi toutes les origines nationales ; ce taux était de 29,7% chez les femmes de même âge et origine ». En 2017, 41,6% des jeunes de plus de 15 ans issus de parents algériens étaient sans emplois ni scolarité, soit trois plus que les Français de « souche ».

Le désœuvrement, la consommation ou la revente des drogues, puis les violences dans les cités surpeuplées, conduisent bon nombre d’entre eux en prison. D’après les données du Ministère de la justice, « les Algériens constituent la nationalité étrangère la plus représentée dans les prisons françaises : au 3e trimestre 2021, parmi l’ensemble des étrangers écroués, les Algériens étaient à eux seuls plus nombreux que les ressortissants de tous les pays de l’UE réunis ; ils représentaient 20% du total des étrangers écroués ».

Les ghettos dans lesquels ces jeunes vivent favorisent grandement marginalisation, discrimination et violence. Selon diverses chiffres recoupés, 49% des ménages d’origine algérienne vivait en HLM en 2018, soit presque quatre fois plus que les ménages non-immigrés (13%). Ces ménages algériens représentaient à cette date le plus haut taux parmi toutes les origines migratoires.

En dépit de cette situation défavorable que vivent les immigrés algériens et leur progéniture née dans l’Hexagone, il se trouve des plumes pour réclamer l’abolition des privilèges dont disposeraient les immigrés algériens par rapport à d’autres étrangers.

« Le maintien de ce traitement préférentiel apparaît entièrement injustifié, compte tenu du nombre d’immigrés algériens déjà présents et de leur difficile intégration […] Le débat à venir sur le projet de loi Immigration offre aux parlementaires de dénoncer ces avantages indus et d’exiger l’abrogation de l’accord de 1968, d’autant plus dans le contexte du blocage par le régime d’Alger de la délivrance des laissez-passer consulaires – nécessaires à l’éloignement des immigrés clandestins. »

Que conclure de ce qui précède ? Que la diaspora algérienne est la moins lotie et la moins structurée en termes politique et économique que les autres diasporas présents sur le sol français ; c’est une diaspora atomisée, éclatée en une multitude de chapelles ethniques, religieuse, clanique ou régionale.

Elle n’est plus ce qu’elle était pendant la Révolution où ses membres étaient soudés et solidaires en dépit des luttes fratricides qui avaient opposé le FLN au MNA, et vice versa.

Glorifiée parfois par les régimes politiques successifs pour des raisons de pure propagande idéologique, cette diaspora souffre de l’indifférence, voire même d’un certain mépris de la part des hauts responsables de l’Etat algérien aux perspectives politiques et stratégiques de courte vue. Ces hommes ne voient pas ou ne veulent pas voir les potentialités que recèlent les émigrés et leurs enfants ni les atouts qu’ils peuvent offrir sur le court et le long terme au pays.

Absorbés plus par des préoccupations de pouvoir et de prestige personnel que par des projections politiques grandioses, nos hommes politiques actuels se montrent complètement indifférents au sort de cette diaspora qui pourrait pourtant constituer un lobby très puissant tant au niveau économique que politique, lobby qui dépasserait l’unique cadre hexagonal, français…

Pr Ahmed Rouadjia1

  1. Professeur d’histoire et de sociologie politique ↩︎
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