Le président de SOS Racisme, Dominique Sopo, explique à Diasporadz comment l’ « empire Bolloré » joue un rôle de premier plan dans la libération de la parole raciste en France.
Entretien réalisé par Kamel Lakhdar Chaouche
Diasporadz : Que pensez-vous de la nouvelle loi sur l’immigration ?
Dominique Sopo : La nouvelle loi Immigration est avant tout le symptôme d’une obsession qui s’est installé depuis trop longtemps dans notre pays. Elle est en effet une énième loi sur le sujet et une fois de plus une loi qui vise à restreindre des droits et à durcir des dispositifs. C’est pour cela que nous nous sommes élevés et mobilisés contre le projet de loi depuis la rentrée 2023.
Le texte de la nouvelle loi aurait pu être pire puisque cette loi est adoptée sous une forme allégée de nombreuses dispositions à la suite de la censure, par le Conseil constitutionnel, de 32 des 86 articles de cette loi Immigration portée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.
Cette large censure – sans doute aidée par les mobilisations menées par des associations comme la nôtre, des syndicats et des forces politiques – est une décision bienvenue en ce qu’elle met un terme à la dynamique discriminatoire qui, déjà présente dans la version initiale du texte, s’était emballée sous les coups de boutoir de la droite parlementaire et la complaisance de la majorité présidentielle, sous l’œil satisfait d’une extrême-droite aux propositions soudain légitimées.
La censure de la préférence nationale appliquée aux prestations sociales, de la caution à l’endroit des étudiants extra-européens, des énièmes restrictions au regroupement familial ou de la fin de l’automaticité du droit du sol est une bonne nouvelle et réconforte toutes celles et tous ceux que ces dispositions allaient directement frapper, tout comme celles et ceux qui sont attachés aux traditions républicaines fondées sur l’égalité et l’accueil.
Cependant, si de nombreuses dispositions sont censurées, nombre d’entre elles, présentes dans le projet de loi initial qui marquait un recul important des droits des étrangers, entrent désormais dans le droit positif, à l’exemple d’un retour de la « double peine » – à savoir la condamnation d’une personne suivie de son expulsion à l’issue de sa peine de prison – ou de nouvelles conditions mises à la délivrance de titres de séjour.
Un bruit court au sujet de certaines pratiques discriminatoires dans le recrutement des travailleurs par les agences d’intérim et des employeurs, visant particulièrement les Maghrébins et les Noirs. Avez-vous eu écho de ces pratiques ?
Cela n’est pas un bruit. C’est un phénomène que nous avons à plusieurs reprises objectivé. Le 12 mars, nous avons ainsi rendu publics une étude que nous avons menée auprès des agences d’intérim.
Cette étude, dans laquelle nous nous faisions passer pour des employeurs à la recherche d’intérimaires, montrait que deux tiers des agences d’intérim testées pouvaient adopter un comportement problématique.
En outre, de nombreuses études menées par des chercheurs ou par SOS Racisme à travers la méthode du testing que nous avons importée et popularisée en France attestent la difficulté pour les populations d’origine maghrébine, d’origine subsaharienne ou venues des départements d’Outre-mer de trouver un emploi, comparativement aux personnes considérées comme étant françaises de lointaine ascendance.
Nous menons la lutte en alertant l’opinion publique par ces opérations et en interpellant les pouvoirs publics afin qu’ils prennent des mesures (telles que des obligations de formation des professionnels mis en cause).
Nous avons aussi recours à la justice. D’ailleurs, le lendemain de la publication de cette étude, SOS Racisme a réussi à faire condamner le géant de l’intérim Adecco pour discriminations raciales à l’embauche.
C’est une belle victoire. Mais elle illustre aussi les difficultés auxquelles nous sommes confrontés en matière d’effectivité de la réponse pénale. En effet, cette condamnation est le fruit d’une plainte déposée par SOS Racisme en… 2001 ! Soit 23 ans plus tôt !
Il semblerait que le racisme ne cesse de se propager ces dernières années, notamment dans les milieux administratifs. Beaucoup de professionnels dans les administrations, toutes catégories confondues, s’en plaignent. Qu’en pensez-vous ?
Je n’ai pas d’informations sur une propagation spécifique du racisme dans les milieux administratifs. En revanche, ce qui est certain, c’est qu’il y a un double mouvement :
– une libération de la parole raciste dans l’ensemble de la société, facilitée par un écosystème médiatique qui porte cette dynamique. A cet égard, l’ « empire Bolloré » joue un rôle de premier plan, à travers des médias tels que CNews, C8, Europe 1 ou le JDD.
À LIRE AUSSI |
Eric Zemmour condamné encore pour injure raciste |
– une plus grane faculté à dénoncer les propos racistes par le fait qu’ils sont plus facilement enregistrables (via les téléphones portables notamment) et diffusables (via les réseaux sociaux).
Des actes de violence et de racisme commis par des policiers contre les Maghrébins et les Noirs demeurent une réalité que dénoncent les organisations des droits de l’homme et d’autres ONG et associations. Quelle serait l’ampleur de ces faits ?
Le racisme dans la police est une triste réalité. Cela ne veut pas dire que tous les policiers seraient racistes. Mais cela signifie que le racisme et les comportements discriminatoires qui en découlent (contrôles au faciès – documentés par toutes les études menées sur ce sujet –, mais également insultes ou logiques de harcèlement envers des collègues ou des citoyens) y sont fréquents.
Si l’on revient sur le contrôle au faciès, son caractère massif est un déni d’égalité qui malheureusement est trop souvent nié par les pouvoirs publics, incapables de le traiter, ou désireux de le laisser perdurer comme outil de contrôle sur des populations jugées – dans un imaginaire raciste – comme particulièrement dangereuses.
K. L. C.