- Du fait du réchauffement climatique, « 2024 s’annonce comme l’année la plus chaude jamais enregistrée » en Algérie.
- Dr Khodir Madani propose plusieurs pistes aux agriculteurs pour faire face aux retombées du réchauffement climatique sur la production agricole en Algérie.
Le Dr Khodir Madani, directeur du Centre de recherche en technologies agroalimentaires (CRTAA) a animé deux conférences, en avril dernier, aux universités de Béjaïa et de Bouira, pour expliquer l’impact du réchauffement climatique sur la production agricole en Algérie.
Dr Khodir Madani nous parle dans cet entretien à Diasporadz du travail de son équipe de scientifique et revient sur l’impact global du réchauffement climatique sur les pays du bassin méditerranéen et sur la production agricole, plus particulièrement en Algérie.
Entretien réalisé par N. Aksel
Diasporadz : Dans votre communication le 16 avril dernier, vous avez évoqué le travail d’une équipe de scientifiques qui suit l’évolution du réchauffement climatique. Pouvez-vous nous parler davantage de cette structure ? Sa composante, ses tâches et ses objectifs ?
Dr Khodir Madani : Ce sont des équipes de recherche de plusieurs universités : Rouen (France), Béjaia et Constantine (Algérie), Rabat et Marrakech (Maroc) et Tunis (Tunisie). Les équipes sont constituées de coordinateurs, qui sont des professeurs des universités et des doctorants pour traiter les thématiques des projets de recherche.
Les projets ont été financés par la coopération scientifique entre le Maghreb et la France, EGIDE, Partenariat Hubert Curien Maghreb, etc.
Les thématiques traitées étaient autour de la ressource en eau des bassins versants et l’impact des changements climatiques.
Avez-vous installé une équipe similaire au niveau local ? Si c’est le cas, pourriez-vous nous fournir quelques premières appréciations sur l’évolution des températures atmosphériques ?
Oui, des doctorants et mastérants ont été réunis en équipe depuis 2008 jusqu’à 2023, et où nous avons suivi les paramètres climatiques (température et pluviométrie), des paramètres hydrologiques (débit d’oued et piézométrie des nappes) et des paramètres de pollution des eaux de surface et de nappes (DCO, DBO, MES, pH, Conductivité, etc.).
A titre d’exemple, nos enregistrements sur l’historique des températures en Algérie sur plusieurs stations (Annaba, Béjaia, Alger et Oran) entre 1900 à 2023 ont montré une tendance nette à l’augmentation de la température avec une accélération marquée au début des années 1980. Cette observation est d’ailleurs corroborée par les équipes du consortium et nous l’avons corrélée avec l’oscillation Nord Atlantique (NAO) qui joue un rôle important sur le climat méditerranéen.
Peut-on vraiment attribuer ces sécheresses au réchauffement climatique durable, alors que la région en a connu des pires au passé, comme celle de 1866 en Kabylie où toutes les récoltes agricoles ont péri, telle qu’elle est rapportée dans le film « La montagne de Baya » et dans tant d’autres citées dans l’histoire ?
L’Algérie durant les années 1866-1868 a été marquée par une série ininterrompue de catastrophes : séquestre des terres des sénatus-consultes de 1863 et 1865, les effets dévastateurs de l’épidémie de choléra qui atteint l’Algérie en 1867, ceux des invasions de locustes grégaires, le tremblement de terre de Blida, la sécheresse de plusieurs étés 1860-1866, l’hiver rigoureux de 1867-1868. Ces catastrophes ont provoqué une mortalité considérable qu’on estime entre 500 000 et 1 000 000, englobé dans l’appellation de « famine d’Algérie ».
On a estimé la perte démographique nette à 25% de la population du Constantinois. Autour de Ténès, les pertes des Béni Ména s’élèveraient à 41,5% et celles des Béni Zentis à 58,5%. À Béjaia, elles seraient inférieures à 20% alors qu’à Tébessa, elles approcheraient les 40%.
Le démographe algérien Djilali Sari, montrant les limites de la science de la population en Algérie à cette époque, révise à la hausse la population au moment de la conquête à cinq millions et réévalue parallèlement les conséquences de la crise. Il porte ainsi à 820 000 le nombre de morts liés à la «famine», sur une population qu’il estime à 4,2 millions en 1866.
Entre les chiffres de l’historiographie algérienne et ceux, somme toute impressionnistes, de l’administration française, c’est entre 10% et 33% de la population qui meurt.
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Quelles sont les zones les plus impactées par le réchauffement climatique sur le globe terrestre, au niveau régional et local ?
En 2022, les mesures ont montré que les pays comme le Canada, la Finlande, la Russie, le Kazakhstan, et la Mongolie, sont ceux qui ont eu les augmentations de température moyenne les plus élevées, variant entre 2,37 °C et 2,54 °C, alors que l’élévation de la température mondiale est de 1,81°C.
L’Algérie a vu sa température moyenne augmentée de 2,11 °C. L’année 2024 s’annonce comme l’année la plus chaude jamais enregistrée, voire elle dépassera 2023.
Les températures mondiales ont été exceptionnellement élevées au cours des trois derniers mois – environ 1,6 °C au-dessus des niveaux préindustriels – après le pic de l’événement El Niño actuel au début de 2024.
Les 10 derniers mois ont tous établi de nouveaux records de température mensuels de tous les temps, bien que la marge par laquelle de nouveaux records ont été établis soit passée d’environ 0,3 °C l’année dernière à 0,1 °C au cours des trois premiers mois de 2024. Le mois d’avril 2024 est en passe de prolonger cette série à 11 mois records d’affilée.
Le premier trimestre de cette année a été marqué par des températures mondiales records dans de vastes étendues de la planète, y compris dans les océans tropicaux Atlantique et Pacifique occidental, dans une grande partie de l’Amérique du Sud, en Afrique centrale, en Méditerranée et dans l’océan Indien.
Sur la base de l’année écoulée jusqu’à présent et des prévisions actuelles d’El Niño, les experts estiment que les températures mondiales en 2024 devraient se situer en moyenne autour de 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels.
Bien qu’il soit difficile de faire des prédictions précises si tôt dans l’année, les projections des experts suggèrent que 2024 sera pratiquement certainement l’année la plus chaude ou la deuxième année la plus chaude jamais enregistrée.
Les trois premiers mois de 2024 ont chacun établi un nouveau record, porté par le pic des conditions El Niño dans le Pacifique tropical.
Cette variabilité naturelle à court terme s’ajoute au réchauffement d’environ 1,3 °C qui s’est produit depuis le milieu des années 1800 en raison des émissions humaines de CO2 et d’autres gaz à effet de serre.
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Selon les experts en oléiculture, comme le Dr Mokhtar Guissous, membre du Conseil international de l’oléiculture, le réchauffement climatique affecte la filière en deux phases. La première, c’est lors de la floraison en provoquant le stress hydrique chez les arbres et en causant une baisse de production de fruits. Avez-vous, pendant vos observations, enregistré des baisses considérables hydriques dans la région ? La seconde, c’est durant (fin aout – début septembre) la lipogenèse (le fruit secrète des lipides ou de l’huile), si les températures dépassent 40°C, elles freinent le processus. Avez-vous prélevé des seuils de ce genre et des précipitations plus basses durant ces trois dernières années dans la région ?
Le réchauffement climatique a eu des effets variés sur la croissance des oliviers, à la fois positifs et négatifs, selon les conditions spécifiques de chaque région.
Augmentation des températures : dans certaines régions, des températures plus élevées ont prolongé la période de croissance des oliviers et favorisé une maturation plus rapide des fruits. Cela peut potentiellement augmenter les rendements dans ces régions.
Sécheresse : le réchauffement climatique a également entraîné des conditions de sécheresse plus fréquentes et plus graves, ce qui a eu des effets néfastes sur la croissance des oliviers. Un stress hydrique prolongé réduit la production de fruits et affaiblit les arbres, les rendant plus vulnérables aux maladies et aux ravageurs.
Variabilité météorologique accrue : le réchauffement climatique entraîne une augmentation de l’instabilité météorologique, avec des périodes de chaleur extrême, de gelées tardives ou précoces, de fortes pluies ou de tempêtes de grêle. Ces événements météorologiques extrêmes endommagent les cultures d’oliviers et réduisent les rendements.
Risques accrus de maladies et de ravageurs : les changements climatiques favorisent la propagation de maladies fongiques et bactériennes ainsi que l’augmentation des populations de ravageurs qui affectent les oliviers. Par exemple, des hivers plus doux ont permis à certaines maladies de survivre et de se propager plus facilement.
Impact sur la qualité des fruits : les conditions climatiques influent également sur la qualité des olives et de l’huile d’olive produite. Des températures plus élevées modifient la composition chimique des fruits et affectent le profil aromatique et gustatif de l’huile d’olive.
Concernant l’analyse des profils climatiques sur les 40 dernières années, ils se résument à : l’augmentation des températures annuelles et maximales ; l’augmentation des nuits plus chaudes pendant les étés ; l’augmentation des journées caniculaires ; diminution des journées pluvieuses par année ; l’augmentation du nombre de jours orageux ; l’augmentation du nombre de jours orageux en été ; l’abaissement des niveaux piézométriques des nappes phréatiques ; l’abaissement des eaux de surfaces (baisse des niveaux de remplissage des barrages) et baisse des débits d’oued.
Quelles sont les solutions concrètes que peuvent entreprendre les petits exploitants en agriculture pour parer à ces effets climatiques dévastateurs ?
Trois grandes stratégies ont été définies pour augmenter la résilience de l’oléiculture, à savoir : l’amélioration génétique, la gestion maîtrisée du stress hydrique et la gestion biologique des oliveraies.
L’amélioration génétique, qu’elle soit conventionnelle ou non conventionnelle, c’est une stratégie efficace pour sélectionner ou développer des variétés dotées de caractéristiques de résistance aux stress biotiques et abiotiques.
La gestion maîtrisée du stress hydrique consiste à fournir à l’oliveraie la quantité minimale d’eau nécessaire pour maintenir la productivité sans altérer la qualité du produit, et même en améliorant ses caractéristiques organoleptiques, tout en réalisant des économies considérables en matière de ressources en eau.
Par ailleurs, la mise en œuvre de bonnes pratiques de gestion agronomique, notamment dans le cadre de l’agriculture biologique, favorise une production plus saine et durable tout en prévenant l’érosion des sols.
Pour faire face aux changements phénologiques dus au réchauffement climatique, il est nécessaire de privilégier la plantation de variétés moins sensibles aux variations environnementales en termes de décalage de la période de floraison et ayant des besoins en froid moindres.
Pour contrer les problèmes liés à la rareté de l’eau pour l’irrigation, il est recommandé de recourir à des variétés résistantes ou tolérantes à la sécheresse, en privilégiant éventuellement des variétés indigènes déjà adaptées aux conditions locales.
Il convient également de mettre en place des programmes d’amélioration génétique visant à développer de nouvelles variétés résistantes au stress hydrique. L’application du critère de «stress hydrique maîtrisé», lorsque cela est possible, permet de favoriser l’amélioration des caractéristiques nutraceutiques du produit tout en réalisant d’importantes économies en eau.
En ce qui concerne la lutte contre les stress biotiques, une étude approfondie du cycle de chaque agent pathogène en relation avec le changement climatique est essentielle. Il est par ailleurs nécessaire d’envisager un plus grand nombre de traitements, tout en étant conscient des coûts supplémentaires pour les oléiculteurs et de la probabilité que les plantes ainsi protégées développent des mécanismes de résistance aux pesticides. Il est recommandé de démarrer des programmes d’amélioration génétique pour développer de nouveaux cultivars résistants aux stress biotiques.
N. A.