Les essais nucléaires menées par les autorités coloniales françaises dans le Sud algérien dont le peuple algérien commémore aujourd’hui 13 février le 64e anniversaire, demeureront des crimes contre l’humanité imprescriptibles qui engagent la responsabilité juridique et politique sur la base du principe de la continuité de l’Etat.
Plus de six décennies après les essais nucléaires menées par les autorités coloniales françaises dans le Sud algérien, ce dossier épineux se heurte toujours aux frustrations du passé colonial qui empêchent un traitement responsable et objectif du dossier de la Mémoire, lequel hypothèque l’avenir des relations bilatérales algéro-françaises et repousse toute démarche visant à élargir les domaines de coopération sur une base solide fondée sur la confiance.
Toute tentative de traiter les séquelles du génocide commis, le 13 février 1960, par la France coloniale s’accompagne de nouvelles complications qui sont en apparence d’ordre juridique mais qui privent les victimes algériennes de leur droit d’indemnisation, et dissimule, au plus profond, une volonté politique fluctuante dénuée du courage de reconnaître, de sincérité et de bonnes intentions.
Bien que le dossier des essais nucléaires dans le Sud algérien ait été posé sur la table du dialogue lors de la 9e session des consultations politiques algéro-françaises, tenue en janvier 2023 à Alger, cette question figure, selon de précédentes déclarations à la presse du ministre des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger, M. Ahmed Attaf, parmi cinq dossiers qui hypothèquent les efforts de développement des relations bilatérales.
Outre le fait de revendiquer « le règlement des questions relatives à la Mémoire, à la mobilité des personnes, à la coopération économique et à la restitution des biens symboliques de l’émir Abdelkader », l’Algérie réclame aussi « la reconnaissance des dommages causés par les explosions nucléaires et l’indemnisation des victimes », avait rappelé M. Attaf.
A cet égard, le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune avait affirmé dans une précédente déclaration à la presse, que les Algériens « attendent une reconnaissance totale de tous les crimes commis par la France coloniale« , insistant sur l’impératif pour la France de « nettoyer les sites des essais nucléaires et de prendre en charge les victimes de ces explosions ».
Lors des consultations politiques entre les deux pays, la partie française s’est engagée à « accélérer le processus de restitution des archives et à traiter la question des sites des essais nucléaires devant être réhabilités et aborder ainsi l’avenir avec sérénité et respect mutuel ».
Cette question a été examinée parmi plusieurs autres points contenus dans « la Déclaration d’Alger », cosignée par le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune et son homologue français, Emmanuel Macron en août 2022, laquelle stipule la création d’une commission mixte d’historiens algériens et français chargée de traiter toutes les questions y compris celles relatives aux essais nucléaires, les deux parties ayant convenu de procéder à « une lecture objective d’un pan de leur histoire commune ».
Cependant, tout sur le terrain apporte un démenti cinglant aux bonnes intentions pour traiter la question des essais nucléaires. Selon le chargé d’études à l’Observatoire des armements (France), Tony Fortin, une seule victime algérienne résidant en Algérie avait été indemnisée par les autorités françaises.
Le tribunal administratif de Strasbourg (France), avait rejeté, il y a trois mois, pour motif de prescription, les demandes d’indemnisation des familles de victimes décédées des essais nucléaires français menés dans le Sahara algérien et en Polynésie, entre 1960 et 1998.
L’avocate des familles, Cécile Labrunie avait souligné que « le tribunal n’a pas dédouané l’Etat français mais a simplement estimé que la procédure avait été enclenchée tardivement », ajoutant que « le ministère des Armées ne pourra plus continuer à fuir ses responsabilités, en invoquant l’irrecevabilité des demandes ».
Promulguée en janvier 2010, la loi française dite « loi Morin » relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes directes des essais nucléaires, ne prévoit aucune disposition pour leurs proches en termes de préjudices moral, familial ou matériel. Pis encore, elle comporte plusieurs vides juridiques en faveur de la partie française.
Dans une déclaration précédente à l’APS, l’expert français Tony Fortin avait affirmé que l’application de la « loi Morin pose un réel problème », 14 ans après sa promulgation, estimant que la situation est « complexe » en ce qui concerne les indemnisations qui restent « très limitées par rapport au nombre effectif de victimes ».
Il a fait état, en outre, d’une étude réalisée par l’Observatoire des armements sur les déchets des explosions nucléaires françaises en Algérie, dont les recommandations ont été incluses dans le rapport de l’historien Benjamin Stora (janvier 2021), déplorant le fait que « jusqu’à présent, rien ne semble avoir changé à ce niveau ».
Dans le cadre de l’accélération des mesures prises par l’Etat algérien pour parer aux risques des déchets des explosions nucléaires, l’Agence nationale de réhabilitation des anciens sites d’essais et d’explosions nucléaires a été créée en 2021, car la radioactivité reste élevée dans ces régions en raison des déchets radioactifs.
A l’époque, les forces d’occupation françaises avaient prétendu que ces « essais » avaient été effectués dans des zones inhabitées et désertiques à Reggane (Adrar) et à In Ecker (Tamanrasset), alors qu’elles comptaient près de 20.000 citoyens civils.
Le 13 février 1960, la France fait exploser sa première bombe atomique à Reggane dans le cadre d’une opération baptisée « Gerboise Bleue », qui constituait une véritable catastrophe naturelle et humaine, une explosion dont la puissance équivalait environ 60.000 à 70.000 tonnes d’explosifs, soit cinq fois la bombe d’Hiroshima au Japon, selon de nombreux experts dans ce domaine.
Entre 1960 et 1966, la France coloniale a effectué 57 essais et explosions nucléaires: quatre explosions aériennes dans la région de Reggane, 13 explosions souterraines à In Ecker, 35 essais complémentaires à Hammoudia et cinq essais sur le plutonium dans une zone à In Ecker, située à 30 km de la montagne où ont eu lieu les essais souterrains.
Les habitants de ces régions souffrent toujours des séquelles de ces explosions, avec le recensement chaque année de plusieurs cas de cancer, de malformations congénitales, de handicap, de stérilité et de troubles psychologiques chroniques, qui s’ajoutent aux importants dégâts qui constituent une véritable menace pour l’intégrité écologique et territoriale.
Jusqu’à ce jour, les autorités algériennes n’ont reçu aucune carte ou plan des lieux d’enfouissement des équipements utilisés lors de ces explosions, malgré les nombreux appels et initiatives lancés par plusieurs associations pour la prise en charge des victimes, la décontamination des sites des déchets radioactifs et la restitution des archives médicales et techniques.
Dans une lettre adressée en août dernier à l’occasion de la journée mondiale contre les essais nucléaires, des organisations non gouvernementales internationales ont appelé les autorités françaises à lever le secret-défense sur les archives des essais nucléaires pour permettre aux organisations internationales chargées de la surveillance et du contrôle de les consulter sans invoquer le secret-défense et la sécurité nationale, à dévoiler et à dépolluer les sites d’enfouissement des déchets, à faciliter le dépôt des demandes d’indemnisation des victimes algériennes, et à signer ou à ratifier le traité sur l’interdiction des armes nucléaires ».