Il y a quelques jours, j’ai étonnamment été surprise par un article de presse qui annonçait que la partie centrale de la place Ménilmontant, dans le 20e arrondissement de Paris, allait porter le nom de « Square Idir ».
L’inauguration du Square Idir, à l’emplacement de l’actuelle Place de Ménilmontant, aura lieu, très symboliquement, le samedi 20 avril 2024 à 11h00.
C’était le lieu de résidence de cet artiste qui aura su mettre en lumière mondialement à travers son art, les traces d’une identité opprimée, soucieux de toujours la préserver tant elle mérite de vivre, bien au-delà des frontières.
Baptiser un square du nom de Idir, n’est-ce pas là, l’un des plus beaux hommages qu’on puisse rendre à ce grand artiste ? Idir aura su mener à la prospérité beaucoup d’espoirs et de rêves qui continueront ainsi à graver son nom de génération à génération.
Idir incarnait à lui seul l’identité et la culture berbères, c’était un militant pacifiste qui de son vrai nom Hamid Cheriet a toujours su faire preuve de tolérance et de paix.
Aussi longtemps que je me souvienne, la première fois que j’ai entendu une chanson d’Idir, c’était il y a très longtemps, à l’aube de mon enfance.
Ma mère fredonnait souvent « A vava inouva », je ne sais pas ce qui lui venait à l’esprit dans ces moments-là. Voulait-elle exprimer un chagrin, celui de ne plus être proche de ses parents ? Je ne le saurais jamais. Une chose reste sûre, ce que j’ai appris pour le reste de toute ma vie, c’est que jamais je n’ai pu oublier ces instants de bonheur précieux liés à mon enfance. Je les ai gardé en mémoire pour puiser toute cette énergie qui plus tard m’a conduite à retourner à la source.
Voilà pourquoi j’estime à présent, avant toute chose, devoir remercier ma mère. Au départ, c’est grâce à elle que j’ai su écouter et apprécier les chansons d’Idir. Par la suite, lorsque j’étais jeune fille, j’ai continué à m’intéresser à cet honorable artiste. Je découvrais au fil du temps d’autres albums de cet homme qui avait déjà pour moi une place hors du commun.
Je ne comprenais pas le kabyle, mais j’appréciai les sonorités de cette langue berbère. J’étais comme envoûtée, j’affectionnais la douceur des mots et je sentais les rythmes musicaux prendre possession de mon âme. Tous ces chants raisonnaient au creux de mon oreille comme de doux poèmes, ils m’avaient conquise. Les années passaient et je portais inlassablement, au fond de mon cœur, cette étincelle, cette lumière qu’Idir avait posée au fil du temps
Pour moi Idir représentait l’alliance, l’union, le respect. Il avait en lui toute cette humilité et cette humanité qui le caractérisaient. Lorsque j’étais triste, je l’écoutais sans cesse, il apaisait mes douleurs les rendant silencieuses, totalement invisibles.
Il me ramenait sans cesse à de tendres et belles images. Je me revoyais petite fille, en vacances à Alger, chez ma tante Yamina à Bab-el-Oued. Entre cousins et cousines, voisins et voisines, quand nous nous empressions de tous nous réunir à la terrasse, pour chanter tous ensembles « Zwit rwit ». Pendant qu’un de mes cousins jouait de la guitare, nous les filles nous nous mettions à danser, à chanter, à gorges déployées, les youyous fusaient. Cette fraternité orchestrait l’harmonie d’un bonheur instantané.
À LIRE AUSSI |
La nouvelle de l’hospitalisation de l’humoriste Mohamed Fellag en France affole la toile |
Idir est né en Kabylie le 25 octobre 1949. Dans sa voix et dans son regard, on pouvait lire l’honnêteté d’un homme qui n’avait de cesse de partager sa propre culture, riche de ses traditions berbères. Au départ pourtant, rien ne prédestinait ce fils de berger à épouser une carrière artistique. Il préparait des études pour travailler dans l’industrie pétrolière, voulant satisfaire le désir de ses parents qui souhaitaient le voir réussir en tant qu’ingénieur.
Le destin en décida autrement. Un jour, il chanta A Vava Inouva à Alger et il commençait à être diffusé sur les radios dans toute l’Algérie. La réussite arriva bien plus vite que prévue. Il commençait à dépasser les frontières et put enfin être remarqué par la célèbre maison de disques Pathé Marconi. À partir de là, Idir rejoint Paris en 1975 et c’est un an après qu’il sortira son premier album intitulé A Vava Inouva.
Le succès de son titre fût immédiat, mais Idir ne souhaitait pas rentrer dans ce monde du show-biz qui ne le représentait pas. Il était un homme si modeste, avec des valeurs ancrées en lui. Il finit par s’éclipser parfois mais pour revenir toujours plus fort.
Il remonta sur scène pour marquer définitivement son empreinte d’artiste suprême, en donnant une grande place à la diversité artistique et culturelle. En défendant aussi diverses causes. Il a surtout été présent pour soutenir et défendre la cause berbère face à un pouvoir aveugle et oppressif.
On notera aussi qu’Idir s’est produit sur scène avec beaucoup de grands artistes qui eux-mêmes furent honorés de sa présence. Fort de ce résultat, le monde entier aura su lui rendre hommage le jour de sa mort survenue le 02 mai 2020 à Paris. Sur les réseaux sociaux, on a pu observer combien cet homme était apprécié bien au-delà des frontières européennes.
Pour ma part, j’ai tellement pleuré, j’avais l’impression d’avoir perdu un membre de ma famille. Idir était un si grand poète, un homme qui a embelli toute ma vie et qui continue toujours d’ailleurs de l’embellir. J’ai appris grâce à lui que le bonheur s’accordait avec l’amour des siens, avec le respect d’autrui et de la nature. Que le bonheur, c’était aussi la liberté de rester soi, de préserver ses valeurs pour ne jamais être dépareillé de nos propres racines.
Linda Abbas
Fonctionnaire territoriale Métropole Grand Lyon