jeudi, 21 novembre 2024
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Le journaliste de Jeune Afrique Farid Alilat « expulsé d’Alger »

Le journaliste algérien de Jeune Afrique, Farid Alilat, a été expulsé d’Alger et refoulé de l’aéroport international d’Alger, sans aucune explication ni motivation.

Quelle est cette autorité qui a expulsé le journaliste de Jeune Afrique Farid Alilat d’Alger ? Que lui reproche-t-on ? Comment peut-on empêcher un ressortissant algérien d’entrer chez lui en Algérie, sans aucune décision de justice ?

Pourtant la Loi fondamentale est claire : « Tout citoyen a le droit de choisir librement le lieu de sa résidence et de circuler librement sur le territoire national. Le droit d’entrée et de sortie du territoire national lui est garanti. Toute restriction à ces droits ne peut être ordonnée que pour une durée déterminée par une décision motivée de l’autorité judiciaire. »

Nous reproduisons ci-dessous le témoignage publié le 14 mars sur sa page Facebook par Farid Alilat, journaliste et auteur du livre « Idir, un Kabyle du monde». Témoignage.

Moi, Farid Alilat, journaliste à Jeune Afrique, et citoyen algérien, j’ai été expulsé samedi 13 avril 2024 de l’aéroport international d’Alger après avoir passé plus de 11 heures dans les locaux de PAF et de la police judiciaire (PJ) de cet aéroport.

Vendredi 12 avril, je me présente vers 18h30 au guichet de la PAF. Après une première vérification de mon identité, l’agent de service appelle son supérieur. Celui-ci prend mon passeport et donne des coups de fil.

Au bout de cinq minutes, il me demande de le suivre avec mes bagages vers l’entrée des locaux de la PJ. Là, un autre officier prend les choses en main. Je demande ce qui se passe, on me dit qu’ils vont procéder à des vérifications d’usage. Sur ce, on me dirige vers une salle d’attente où se trouvent déjà des ressortissants chinois et subsahariens.

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Au bout d’un moment, un officier se présente et me demande d’éteindre mes téléphones avant de me les confisquer. J’attends dans cette salle pendant des heures. Vers 22h, trois policiers se présentent et me demandent de les suivre avec mes bagages. Mes bagages sont passés au scanner et fouillés. Procédure classique. Je demande à l’un des officiers les motifs de tous ces contrôles, il me répond : « Contrôle de routine. »

Là, un des officiers me demande de lui remettre mon ordinateur. Retour à la même salle d’attente. Vers 22h30, je suis conduit avec mes bagages vers les locaux de la PJ du même aéroport. On décide de placer mes bagages dans un bureau.

Dans un autre bureau, on décide de me faire une audition. Les officiers me demandent de leur remettre ma carte de séjour, mon permis et ma carte de presse qu’ils font scanner. L’audition commence. On ne me présente aucun document judiciaire pouvant justifier cette audition. Pas plus qu’on m’explique l’objet de mon interpellation.

Trois officiers se relaient pour m’interroger sur tout. Ma filiation, mon cursus scolaire, ma situation personnelle. On m’interroge sur mes voyages, sur les personnes que je rencontre quand je viens en Algérie, sur mes écrits, sur la ligne éditoriale de mon journal, sur l’objet de mon voyage, sur le MAK, sur les opposants algériens à l’étranger.

Au bout d’un moment, on me demande d’ouvrir mon téléphone et mon portable pour qu’ils puissent y accéder. Je n’ai rien à cacher. On m’interroge encore sur mes écrits sur Jeune Afrique, sur mes publications sur Facebook et sur twitter, sur mes antécédents judiciaires en Algérie et en France.

Là encore, je n’ai rien à cacher. Tout ce que je publie est publié avec mon vrai nom. On me demande si j’ai la nationalité française. J’ai dit non. J’ai un seul passeport algérien. Je suis résident en France depuis 2004. On insiste encore sur mes articles. J’explique que je travaille sur l’Algérie pour le compte de Jeune Afrique depuis 2004.

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Pendant ces vingt dernières années, j’explique aux policiers, j’ai eu à rencontrer des centaines de personnes de responsables, des cadres civils ou militaires ou encore d’autres interlocuteurs sans être le moindre du monde inquiété par une quelconque autorité policière, judiciaire, sécuritaire ou politique.

Pendant 20 ans, on ne m’a jamais demandé une quelconque autorisation pour effectuer mon travail. Durant l’année 2023, je me suis rendu trois fois en Algérie dans le cadre de mon travail. Je n’ai jamais fait l’objet de la moindre interpellation de la part d’une quelconque autorité.

Mon dernier séjour en Algérie remonte du 15 au 24 décembre 2023. Là encore je suis rentré et sorti du territoire sans le moindre souci. Je ne fais l’objet à cet instant présent d’aucune plainte ou d’aucune poursuite judiciaire. Auquel cas, on me l’aurait signifié.

Mon audition s’achève vers 4h du matin. On me fait signer le PV d’audience que je relis sommairement. Un officier me dit : « Vous ne nous faites pas confiance ?! ». Mais si… Je relis quand même. Les policiers sont très courtois. Ils s’excusent même de cette situation.

Là encore, personne n’est en mesure de me donner une explication pourquoi je suis retenu dans ces locaux et pourquoi mon téléphone et mon ordinateur font l’objet d’une fouille qui n’a pas été ordonnée par un juge. Au vu de la loi, seul un juge peut ordonner la saisie d’un ordinateur ou d’un téléphone.

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Vers 4 h du matin donc, on me dit que la procédure est terminée. Je demande si je peux récupérer mes affaires et mes documents pour partir librement, on me dit : Pas de soucis, mais qu’il faut attendre un peu. Encore une fois, les policiers sont courtois. Je n’ai subi aucun mauvais traitement, aucune pression de leur part, aucune forme d’intimidation.

Je collabore car je n’ai rien à me reprocher. J’attends dans les locaux de la PJ. Le temps passe. Personne n’est en mesure de m’expliquer l’objet de mon interpellation. Vers 5h du matin, un policier me demande de lui remettre ma carte de séjour. J’attends toujours.

Vers 5h30, je demande à un policier ce qui se passe. Il m’annonce que je vais être refoulé dans l’avion de 7h du matin. Vers 6h30 du matin, deux officiers se présentent. Ils me remettre mes bagages, mes deux téléphones et mon ordinateur et me demandent de les suivre. Mes bagages repassent au scanner.

Je demande à l’officier qui me raccompagne que je fais l’objet d’un refoulement. Il me dit : « Non, on vous reconduit dans l’avion. » Je lui dis que c’est une expulsion d’un citoyen algérien et d’un journaliste, il me dit : « Non, qu’il me reconduit juste à l’avion pour repartir. » Je lui demande pourquoi et qu’est-ce qui justifie cette exclusion. Il me dit : « Ce sont des instructions. »

Je suis conduit par un policier devant la porte de l’avion de Air France. Mon passeport est confié au commandant de bord. Procédure normale. A mon arrivée à Roissy vers 10h30, deux policiers français m’attendent à la sortie. Ils vérifient mes documents. Tout est en règle. Ils me reconduisent vers la sortie en m’évitant la queue devant les guichets.

Je suis donc expulsé de mon pays sans aucune justification verbale ou écrite. Je n’ai reçu aucun document écrit d’une quelconque autorité algérienne pour justifier cette décision arbitraire, illégale et anti constitutionnelle comme le stipule l’article 49 de la Constitution.

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Je comprends parfaitement que mes articles dérangent. Je suis un journaliste libre. Je traite de l’actualité de mon pays en journaliste libre et indépendant. Je comprends tout aussi parfaitement qu’on ne souhaite pas me voir venir en Algérie pour effectuer mon travail de journaliste.

Avec cette décision, ce ne sont plus mes articles qui dérangent. Ma présence demain en Algérie même pour des raisons privées et familiales est un risque majeur pour moi et pour mes proches.

Aujourd’hui, on m’a expulsé de mon pays en tant que journaliste et citoyen algérien. Je le répète encore : le seul document de voyage que je possède est un passeport algérien. Je n’ai pas d’autre nationalité.

Demain, que va-t-il se passer si je décide d’y retourner ? Pendant toutes ces heures que j’ai passées dans les locaux de la PAF et de la PJ, j’ai imaginé le pire. Un mandat de dépôt à la prison d’El Harrach ou un retrait de mon passeport. Je me suis dit : la prison El Harrach ? Je vais retrouver la cellule ou la salle où mon père a été arbitrairement jeté en 1980 quand j’avais 15 ans.

Je me suis souvenu aussi de ce que ma mère m’a dit en août 2003 quand je lui ai annoncé que je risquais d’aller en prison pour mes écrits comme directeur de Liberté. Ma mère m’a dit ce jour-là : « Si tu vas en prison pour tes écrits, je viendrai te voir la tête haute. »

Voilà. J’ai été expulsé de mon pays samedi 13 avril 2024.

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