jeudi, 21 novembre 2024
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« L’Incendie » de Mohammed Dib : le feu couvait…

En 1954, Mohammed Dib publie « L’incendie », deuxième volet de sa trilogie sur l’Algérie, succédant à « La grande maison ».

On retrouve dans « L’Incendie » de Mohammed Dib des personnages de « La grande maison », Omar, Aïni, Zhor… mais leurs rôles sont secondaires. D’autres apparaissent, comme Comandar, Ba Dedouche, Meskine, Kara…

En réalité, les personnages principaux sont le groupe des fellahs, ces ouvriers agricoles exploités par les colons. Mohamed Dib décrit le quotidien des habitants de Bni Boublen, un village proche de Tlemcen, où la vie est différente de celle de la ville, mais tout aussi dure, sinon plus.

Quelques-uns, peu nombreux, ont la chance de posséder un lopin de terre et quelques bêtes, ceux-là vivent chichement, mais relativement mieux que les autres. La plupart de ces derniers n’ont rien, ils sont très pauvres, ne mangent pas à leur faim.

Ceux qui ont un emploi sont exploités, très peu payés, sans aucune sécurité. Beaucoup n’ont pas de travail, les colons profitent de cette main-d’œuvre trop nombreuse et les salaires, pas toujours versés, ne permettent que de survivre. Les gens sont mal logés, l’été ils suffoquent, l’hiver ils grelottent.

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Les propriétaires terriens ne trouvaient pas anormale cette situation, étant donné le peu de considération qu’ils avaient pour les indigènes.

Ba Dedouche résume leur façon de penser : « Le fellah ? Un fieffé paresseux ; pour travailler un jour, il lui faut dix jours de repos… le fellah sent mauvais. Le fellah n’est qu’une bête. Le fellah est grossier… Le fellah est satisfait de son sort. … D’ailleurs, ce que vous lui donnerez de beau, il le dégradera tout de suite à son image, incapable qu’il est de s’élever au-dessus de sa condition ! Mais le malheur, c’est que ceux qui parlent ainsi ne nous laissent jamais essayer cette belle vie. Eux-mêmes prospèrent sur nous comme de la vermine. Si notre pain est noir, si notre vie est noire, ce sont eux qui nous les font ainsi. »

Les fellahs sont prêts à s’unir pour agir, faire grève. Mais leurs revendications n’ont pour réponse que la répression. Les contestataires sont maltraités. Les autorités pratiquent la torture pour découvrir qui sont les meneurs. Les arrestations sont arbitraires, et certains disparaissent. Cela préfigure ce qui va se passer par la suite lors de la guerre d’indépendance.

Comme dans tous les groupes, il y a des maillons faibles, certains hésitent à s’engager dans le conflit contre les colons, d’autres collaborent avec ces derniers pour en obtenir des avantages. Ainsi Kara informe les autorités des activités des fellahs, se marginalisant des membres de sa communauté.

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Certains ont une vision claire de la situation, tel le vieux Ben Youb : « On croirait que c’est nous les étrangers, et les étrangers les vrais gens d’ici. Devenus les maîtres de tout, ils veulent devenir nos maîtres aussi. Et, gorgés des richesses de notre sol, ils se font un devoir de nous haïr. Naturellement ils savent cultiver…n’empêche que ces terres sont à nous. …elles nous ont été enlevées… On ne peut plus respirer, Frères, on ne peut plus ! »

Ou encore Slimane Meskine : « les colons sont des voleurs, le caïd est un voleur, les gendarmes sont des voleurs, l’administrateur est un voleur … »

À la suite des troubles causés par la grève des ouvriers agricoles, un incendie ravage leurs habitations. Alors qu’il est probable que le feu ait été mis par les propriétaires, les autorités cherchent à en faire endosser la responsabilité aux fellahs.

Dans la dernière partie du livre, on suit Omar qui revient à Dar Sbitar. Les conditions y sont encore plus dures pour Aïni, sa mère, qui ne peut pas voyager en raison de la guerre, alors qu’ elle n’a pas d’autre moyen de subsister que la contrebande entre le Maroc et Tlemcen.

Dans ce roman, qui est en réalité un témoignage sur l’état de la société algérienne des campagnes, on retrouve les thèmes de la pauvreté, de la faim, de l’exploitation des ouvriers par les patrons, de la répression proposée comme réponse aux revendications légitimes.

Mohammed Dib nous fait comprendre, à travers « L’Incendie », que tous les éléments sont en place pour la suite, car à l’évidence, une telle situation ne pouvait pas perdurer.

L’incendie était éteint, en apparence. Mais le feu couvait : il ne demandait qu’à repartir. 1954 …

Robert Mazziotta

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