jeudi, 21 novembre 2024
DiasporadzChronique"L’opium et le bâton" de Mouloud Mammeri : la vérité historique se trouve-t-elle dans la littérature ?

« L’opium et le bâton » de Mouloud Mammeri : la vérité historique se trouve-t-elle dans la littérature ?

Certes l’histoire est faite par les historiens. Mais parfois, lorsqu’il s’agit de l’histoire d’un conflit, elle est instrumentalisée par les pouvoirs et l’on obtient deux versions différentes, aboutissant à des mémoires opposées, antagonistes.

Lire « L’opium et le bâton » de Mouloud Mammeri, l’un des plus beaux livres, peut-être le plus beau, écrit par un écrivain algérien sur cette guerre, permet de comprendre beaucoup de ce qui s’est passé.

« L’opium et le bâton » de Mouloud Mammeri raconte la vie d’un village Tala et de ses habitants pendant la guerre.

L’un des personnages, Bachir, était médecin à Alger. Craignant d’être compromis et suspecté par les Français, il quitte cette ville pour rejoindre son village natal. Il s’engagera dans la résistance en devenant l’un des organisateurs de la structure médicale du maquis.

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Ramdane, l’intellectuel marxiste, est proche de Bachir. Il lutte par des moyens différents.

Les gens étaient écartelés entre les deux bords et dans les familles, certains avaient choisi un côté, Bachir et son frère Ali le FLN, leur frère Bélaïd avec les Français.

Et ceux qui collaboraient avec le colonisateur étaient souvent parmi les plus cruels, tel Tayeb, car ils n’avaient plus rien à perdre :

« Cette guerre sans nom condamnait tout le monde à la veulerie, la lâcheté des hommes qui ne pouvaient rien n’avait d’égale que la lâcheté de ceux qui pouvaient tout, et en profitaient pour exiger tout, tout avilir. »

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Mouloud Mammeri décrit les conditions difficiles, la pauvreté, la faim, les mêmes maux dont parlait Mouloud Feraoun dans « le fils du pauvre », aggravés par la répression de l’armée française.

Lorsque le petit Ahmed pleure de faim :
« La voix de Smina sortit de l’ombre :
Il a faim
– Donne-lui à manger
il n’y a rien à manger

Bachir tira un billet de sa poche.
Voici de l’argent, dit-il, allez en acheter.
Il n’y a rien à acheter, dit Smina. »

On découvre aussi des combattants organisés, solidaires autour d’Amirouche, leur chef, que les officiers français ne cessaient de vouloir neutraliser.

L’armée française mettait une pression énorme sur la population, n’hésitant pas à torturer les hommes et les femmes, se rendant coupable d’exécutions sommaires, détruisant des villages entiers, les maisons, le bétail, les cultures.

L’armée qui offrait parfois une politique amicale, sociale dans les SAS, tantôt une politique dure, répressive. L’opium et le bâton !

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La guerre est aussi psychologique, la propagande a pour but la division et le rejet des nationalistes :

« Gens de Tala, il y a longtemps que des hommes sans foi ni loi, des bandits de grand chemin, vous font la guerre. L’armée est ici pour vous défendre, mais l’armée ne peut pas être partout et toujours avec vous. Quand nous vous reprochons que les fellagha vous affament, vous ruinent, vous égorgent, vous extorquent de l’argent, vous obligent à les héberger et à les nourrir sans que vous réagissiez, vous objectez qu’ils sont armés et que vous ne l’êtres pas…….vous allez recevoir des armes et constituer à Tala un groupe d’autodéfense. »

Dans ces circonstances terribles, les gens étaient désespérés :

« Contre le monde et ses calamités, contre les maladies, l’ignorance, la famine, le froid, la colère ; l’impuissance, la haine et les éclipses, nous n’avions rien à notre portée, ni la force, ni la science, ni la richesse. »

Mouloud Mammeri décrit aussi un peuple digne, au-delà des faiblesses de certains. Lorsque les villageois sont sommés de dénoncer deux des leurs au risque de voir leur village détruit, ils préfèrent rester unis et assumer les conséquences de leur solidarité mutuelle.

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« Si ce village veut la désunion, qu’il attende ma mort pour le faire. Quoi qu’il arrive, il faut que nous souffrions ensemble. »

Un épisode est à mettre à part, c’est lorsque Mammeri évoque la romance avec Ito, cette jeune femme qui doit se marier avec un garçon qu’elle n’aime pas et qu’elle s’accorde quelques moments de liberté avec Bachir.

On a un peu peine à le croire. Mais c’est une sorte de bouffée de fraîcheur au milieu de ce contexte dramatique. Comme pour montrer que malgré tout, la vie est la plus forte et qu’elle peut aussi être douce.

Mouloud Mammeri subjective les personnages de son roman, il les sort de l’anonymat. Nous ne sommes plus en face de rapports d’historiens, de communiqués de l’armée ou d’articles de journaux qui font état du nombre de rebelles tués ou mis hors d’état de nuire.

Nous sommes en présence de personnes. On réalise qu’elles avaient une vie, une histoire, des sentiments, des peurs, des espoirs aussi. Elles redeviennent des êtres humains, rompant ainsi avec les comptes rendus des historiens ou des journalistes qui tendent à les déshumaniser.

Ce livre doit être lu par tous les Algériens, parce qu’il leur raconte leur histoire. Mais aussi par tous ceux qui sont de l’autre bord et qui sont restés dans le ressentiment. En découvrant qui était Bachir, Ali, Bélaïd, Farroudja, Ito et les autres, ils éprouveront inévitablement un sentiment d’empathie qui ne manquera pas de faire évoluer leur point de vue. Comme a évolué le mien depuis longtemps.

L’opium et le bâton : un livre magnifique qui touche au plus profond de soi, au plus profond de ses certitudes. Un grand livre de la littérature universelle.

Robert Mazziotta

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