L’artiste peintre et poétesse Magda Hoibian revient dans cet entretien à Diasporadz sur son parcours atypique et son art qu’elle qualifie de « singulier ».
Magda Hoibian est une artiste peintre et poétesse qui jaillit comme une lumière éclatante, salutaire et salvatrice dans cette époque troublée, écorchée aux cieux sombres. Entretien
Entretien réalisé par BRAHIM SACI
Diasporadz : Vous êtes artiste peintre et poétesse, qui est Magda Hoibian ?
Magda Hoibian : Une femme avant tout, mais éprise d’indépendance, très créative dans plusieurs domaines de la vie, j’ai cheminé longtemps avant de m’autoriser à me voir, à m’envisager en tant qu’artiste.
J’ai beaucoup créé, de petites choses, comme beaucoup de femmes, tout au long de ma vie, en privilégiant le développement de la créativité chez les autres, c’était vraiment une conséquence de mon éducation à la fois familiale comme celle plus vaste de la société patriarcale.
Donc, je suis une personne qui ne veut pas renier mon genre, parce que je me suis beaucoup battue pour avoir le droit de m’exprimer en tant que fille, femme, mais aussi une personne en constante évolution dans ma vie. Ce n’était pas gagné pour moi l’expression artistique professionnelle, je me souviens au lycée de banlieue où j’étais où je regardais les élèves d’option arts plastiques, avec envie, en me disant que ça me plairait, mais que je n’étais pas douée comme eux.
C’est dingue ces formatages ! Aucun professeur ne m’a jamais aidée à trouver qui j’étais profondément. Je suis donc une humaine en mouvement, la poésie, je dois cela à mon père qui avait beaucoup de recueils de la collection Pierre Seghers, que j’aimais beaucoup lire, et à une sensibilité particulière. En effet, je vois la poésie partout, dans la peinture, dans le mouvement de la vie, je suis heureuse d’avoir sans le vouloir été anormale selon la formule de ma mère.
Diasporadz : C’est l’art qui vous anime. D’où vous vient cette passion ?
Magda Hoibian : Je ne sais pas. Je n’ai pas grandi dans une famille passionnée d’art. Mais mon père qui était un grand lecteur, virus qu’il m’a transmis, avait quelques livres d’art, il aimait la photographie et la peinture, sans avoir ni le temps, ni les codes pour fréquenter les musées ou les galeries.
J’ai eu adolescente la liberté d’aller où je voulais, j’allais donc souvent au Centre Pompidou, où j’ai eu des coups de foudre pour la peinture, même si, elle me semblait hors d’atteinte car à l’époque on ne mettait en avant que des artistes hommes.
J’ai alors commencé par la musique, la guitare et le chant, puis j’ai fait du théâtre, c’était plus abordable, avant de me mettre à créer, à faire des collages, des dessins, des « petites choses ». Je me suis mise ensuite à peindre pour moi, à une époque de vie assez marginale, où ma fille n’allait pas à l’école, où le temps était libre, étirable, c’était fantastique, très créatif, très loin de la pensée scolaire, c’est là que j’ai développé plus profondément cette passion. On allait voir beaucoup d’expositions, des spectacles, et je créais en toute liberté, ce qui a été déterminant et formateur.
Diasporadz : Vous vous situez à la croisée des chemins entre l’art contemporain et l’art singulier, pouvez-vous nous expliquer ?
Magda Hoibian : Tout à fait, mon parcours n’est pas du tout académique, pas d’école d’art, j’ai eu une décennie assez marginale, mais merveilleuse, où j’étais vraiment libre.
J’avais monté un atelier de peinture et je me suis tournée vers une pratique artistique personnelle, je me suis mise à peindre.
Je ne pensais pas que l’art contemporain était quasi réservé à ceux qui sortaient des écoles (ESAD, ex-Beaux-Arts), je pensais malgré tout entrer dans la case de la peinture contemporaine, surtout avec mon évolution picturale et ma passion pour la peinture contemporaine.
Mais finalement, je ne rentrais pas dans la case, le terme d’art singulier, me va mieux et il y a beaucoup de rencontres entre l’art singulier et l’art contemporain.
Je suis singulière de par mon parcours atypique et contemporaine peut-être aussi de par certaines peintures, mais à dire vrai je ne crois pas que cela soit finalement si important.
Diasporadz : Vous avez le génie des couleurs, votre peinture interpellent et éveille les sens, comment faites-vous ?
Magda Hoibian : Merci beaucoup, je suis très touchée. Mais je me contente seulement de faire ce que j’aime et je travaille beaucoup intuitivement, avec mon inconscient, la peinture ne fait qu’un avec moi.
J’ai toujours aimé les couleurs et je déplore le manque du sens des couleurs en France. L’hiver est gris et triste et presque tout le monde revêt un anorak noir, les maisons sont crépies de couleurs ternes, les intérieurs peints en beige et gris.
J’aime la vivacité des couleurs, vous la voyez dans ma peinture, je mets des couleurs partout, mes vêtements, les lieux où je vis, j’ai aussi eu les cheveux roses, orange avec le henné ma couleur favorite.
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La couleur est mon premier matériau de création. Si ma peinture éveille les sens, alors je ne travaille pas pour rien. Nous vivons dans un monde trop raide, les humains de ce pays ne se touchent pas et c’est pire depuis la pandémie.
Moi, je caresse les plantes, je souris au vent, je me couche sur la terre, je chante avec le feu, c’est le chant des éléments. Si ma peinture participe à l’harmonie des êtres avec tout ce qui nous entoure, j’en suis heureuse.
Diasporadz : Quels sont les peintres qui vous influencent ?
Magda Hoibian : Beaucoup évidemment, je peux citer Sonia Delaunay, Chagall, Matisse, mais je découvre chaque jour de nouveaux artistes du monde entier.
J’utilise beaucoup l’excellent site AWARE qui met en avant les artistes femmes, mais aussi Instagram, je partage volontiers dans mes stories mes coups de cœur. J’aime les artistes d’Amérique latine, très reliés à la terre, aux éléments du vivant, avec une spiritualité ouverte, mais aussi les artistes du Maghreb, très colorés, très riches de par leur histoire, et plein d’autres avec qui je me sens des affinités diverses et variées.
Diasporadz : Le chercheur Arno Sternqui a créé le concept scientifique de Sémiologie de l’Expression, les aspects pratiques du Jeu de Peindre et du Closlieu, nous a quittés le 30 juin 2024 à l’âge de 100 ans, parlez-nous de votre travail avec lui ?
Magda Hoibian : Je n’ai pas travaillé avec lui, j’ai suivi une formation avec lui. Je connaissais son travail depuis longtemps ayant travaillé avec des enfants, dans ma jeunesse, j’avais lu un de ses livres, et j’aimais son approche de la peinture spontanée pour les enfants.
J’ai toujours proposé de la peinture libre aux enfants avec qui j’avais l’occasion de travailler. Ensuite, en 2010 je crois, j’ai donc payé pour un stage avec lui. Et dans la foulée j’ai ouvert mon association du jeu de peindre Les Ateliers L’envol. Actuellement, c’est fermé, mais je souhaite vivement rouvrir, lorsque je serais installée à Châtellerault dans les mois à venir.
Arno Stern a toujours clamé que les enfants traçaient sans faire de l’art, que l’art appartenaient aux seuls artistes, mais je crois que c’est plus subtil que cela, et je connais plusieurs artistes qui, enfants, fréquentaient son atelier.
Diasporadz : Peut-on dire que l’art singulier est en perpétuel évolution ?
Magda Hoibian : Je ne sais pas, mais je l’espère vivement. Mais tout est en perpétuelle évolution, nous-mêmes avec tout ce qui nous entoure.
Espérons que notre incroyable planète puisse encore avoir des océans merveilleux pleins de vie, des terres grouillantes de vers et d’insectes, de plantes fantastiques, d’arbres extraordinaires, d’oiseaux si variés, que j’aime tant, et parmi tout ce vivant, des artistes singuliers, des architectes respectueux, des poètes chantants, des femmes puissantes et respectées, des bébés heureux, des mammifères tranquilles, des voies vertes, des chevaux, des évolutions singulièrement attirantes et tirant vers le vivant durable.
Diasporadz : Vous êtes aussi poétesse, un mot sur votre poésie ?
Magda Hoibian : Je suis poétesse, c’est vrai, je n’avais pas prévu cela, je ne sais plus comment cela a commencé… Je me suis empêchée d’écrire quelques années, car c’était le domaine de ma fille Zoé, qui écrivait de la poésie et des romans. Elle a arrêté pour le moment et ça a rejailli chez moi. J’en fait des lectures, mais j’ai le projet de proposer mon tapuscrit. Je crois que mon écriture est intuitive et chantante, relativement, j’aime la relation à l’écriture, elle est différente et complémentaire à la peinture. Cela me fait aller plus loin. Ma poésie est proche du quotidien, douce et vive à la fois, souvent elle me dépasse, elle va plus loin que moi.
Diasporadz : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
Magda Hoibian : Actuellement, je suis avec mon compagnon dans une belle maison atelier, en campagne du sud de l’Indre et Loire. Nous l’avons rénovée, peinte en partie, et nous allons la mettre en vente pour rejoindre la ville où il travaille, Châtellerault. Là-bas, je veux remonter mes Ateliers du Jeu de Peindre, mais aussi essayer de monter une galerie associative.
Je crois à l’idée que les artistes peuvent devenir des commissaires d’exposition, j’aime mettre en avant d’autres artistes et créer des événements. Tout cela prendra un peu de temps, mais je pense que c’est possible.
Je suis aussi en train de préparer des œuvres en broderie, une série de constellations imaginaires, et des enregistrements de poèmes que je souhaite coupler avec des peintures.
Diasporadz : Un dernier mot peut-être ?
Magda Hoibian : Gracias a la vida, comme l’a écrit et chanté Violeta Parra, protégeons cette belle vie mouvante, et merci de tout cœur cher Brahim.
Entretien réalisé par BRAHIM SACI
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