Dans les secrets de mon enfance, l’éducation religieuse imposait son emprise, façonnant mes perceptions à travers un prisme d’interdictions énigmatiques, des interdits que nul ne s’attardait à dévoiler dans leur essence.
On les brandissait comme des balises rigides, des fondements immuables pour tisser les liens sociaux. Ma mère, dans sa solennité maternelle, m’interdisait le jeu de cartes, un décret sans explication, enveloppé de ce mot incantatoire : haram.
C’était un mot sacralisé, un point final catégorique régissant l’ordre de la vie en société. Il était haram de voler, de goûter à la chair du porc ou à celle non saignée, de laisser son regard se poser sur le vin tentateur. Ainsi, le haram trônait au centre de la vie, dicté par la volonté d’Allah.
Comme presque tous les gamins du quartier, dès mes huit ans, en 1963, ma mère décida de m’envoyer, tel un rite initiatique, aux séances d’apprentissage coranique à la mosquée, un pèlerinage estival pour les âmes en devenir. Quatre étés durant, je me plongeai dans la récitation sacrée.
C’est ainsi que le Coran et l’épopée des conquêtes musulmanes tissaient la trame d’une histoire palpitante, teintée d’émotion et d’admiration pour le Prophète, vainqueur des Quraychites à Badr, et pour la justice éclairée du calife Omar Ibn El Khattab, ou encore la sagesse infinie d’Ali Ibn Abi Taleb, le cousin vénéré.
Souvent, les enseignements s’égaraient dans les dédales d’un discours ésotérique, plongeant au plus profond des mystères de la foi. La mort, Izrâ’il l’ange faucheur d’âmes, l’interrogatoire funéraire, orchestré par les implacables Munkar et Nakir, suivi d’un fugace rappel de l’existence terrestre jusqu’au grand sommeil et la résurrection, ces enseignements étaient autant de perles parsemant le sillage d’un cheikh érudit. Celui-ci s’attardait avec solennité sur l’horloge eschatologique, décrivant les signes précurseurs du jour ultime avec une emphase envoûtante, insistant sur la nécessité d’y prêter une oreille attentive et craintive.
Dans ces récits, se mêlaient le frisson de l’inconnu et l’étreinte rassurante de la foi, formant un tableau saisissant où la frontière entre le réel et le sacré s’estompait, révélant l’essence profonde d’une éducation ancrée dans la quête de sens et de transcendance.
L’éducation religieuse tissait ses toiles dorées, nous enveloppant dans un cocon de dogmes et d’interdits, chaque mot chargé d’une gravité mystique. Gog et Magog, noms qui éveillaient parfois un sourire narquois sur mes lèvres d’enfant, l’annonce de la venue d’une bête séparant les croyants des infidèles, la descente céleste d’Aïssa ibn Meriem, plus connu sous le nom de Jésus, ou encore le voile de fumée enveloppant la terre pendant quarante jours, avant que le soleil ne se lève à l’occident.
Ces récits, distillés avec une solennité captivante, nous plongeaient dans un état de dévotion extatique, façonnant nos âmes en de petits musulmans, ancrés dans une certitude inébranlable.
Le discours eschatologique, vibrant de prophéties et de mystères, s’imprégnait profondément en moi, tissant des liens serrés entre la crainte de l’enfer et le désir ardent du paradis. Un verset de la Sourate « Le Miséricordieux », récité avec une ferveur sacrée par le cheikh vénéré, résonnait en moi tel un écho sombre, évoquant la vanité du monde matériel et la majesté éternelle du Seigneur.
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Dans ce paysage spirituel, ma mère se tenait en gardienne vigilante, se nourrissant de mes versets mémorisés comme autant de joyaux, une fierté qui contrastait étrangement avec le détachement de mon père, distancé de ces pratiques pieuses.
Avec le temps, mon répertoire coranique s’enrichissait, une petite fraction des sourates maîtrisées. Dans mon ignorance enfantine, je nourrissais la conviction absolue que l’Islam incarnait la seule vérité divine, élevé dans un cocon où les autres croyances étaient reléguées au statut de mécréance, de voies déviées menant à l’égarement.
L’antagonisme entre l’Islam et les autres religions s’inscrivait dans nos esprits, un fossé profond creusé par l’ignorance et l’endoctrinement. Les chrétiens étaient de simples épicuriens, voués à une éternité de damnation pour leurs péchés de chair et de vin, tandis que les juifs, trahissant l’alliance divine, étaient maudits à jamais.
Les autres traditions religieuses, lointaines et énigmatiques, restaient reléguées dans l’ombre, étrangères à notre univers mental forgé dans le moule rigide de l’Islam orthodoxe. Mais les autres, connaissaient-ils quelque chose de la mienne ? Finalement, j’ai appris plus tard que chaque religion forme ses ouailles, dans l’indifférence des autres.
Pourtant, à mesure que je grandissais, un doute insidieux s’insinuait dans les replis de mon esprit, ébranlant les fondements de ma foi. Si j’avais échappé aux griffes de cette éducation eschatologique, aurais-je été un homme différent ? Une question lancinante, un appel à l’introspection, révélant les méandres de l’identité et de la croyance. L’Islam, un héritage culturel plus qu’une destinée spirituelle, un legs transmis par l’éducation et non par le destin biologique.
Très tôt, je me suis interrogé sur la nature de ce discours eschatologique qui m’a si profondément marqué, une réflexion lucide sur les chaînes invisibles qui ont entravé mon esprit, et sur lesquels je pose désormais un regard extrêmement critique.
Omar Hamourit