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Rencontre avec Jean Calembert autour de son roman « Où vas-tu nuage ?»

Jean Calembert tient fièrement ses deux derniers romans

Jean Calembert tient fièrement ses deux derniers romans. Photo Patrice Yvons

L’écrivain belge Jean Calembert nous parle de son livre « Où vas-tu nuage ?» qu’il vient de publier chez L’œil de la femme à barbe édition, un roman consacré à Jaber Al Mahjoub, dit Jaber, cet artiste peintre, saltimbanque, hors normes, presque irréel, figure emblématique de l’Art Brut, qui s’est éteint à Paris dans le 11e arrondissement, le 20 octobre 2021 à l’âge de 83 ans.

Diasporadz : Votre livre est bouleversant, surtout quand on a connu Jaber, comment est née l’idée de ce livre ?

Jean Calembert : Bizarrement et brusquement. J’étais en contact depuis quatre mois avec un curieux personnage qui était semble-t-il intéressé par mes deux premiers romans. Il m’a promis de les acheter en septembre 2023 tout en clamant qu’il ne les lirait jamais. Intrigué par le joyeux farfelu, j’ai visité son site et découvert que c’était un ancien galeriste, belge exilé à Paris, absolument fou d’un peintre nommé Jaber que je ne connaissais pas du tout et dont je suis tombé immédiatement sous le charme, de l’artiste et du personnage.

À l’époque, j’étais en panne d’inspiration avec deux manuscrits en jachère. Après un mois de dialogue avec Raymond Michel (le joyeux farfelu), quelques interviews avec des proches de Jaber et des recherches dignes de Hercule Poirot, j’ai décidé d’écrire « quelque chose », je ne savais pas quoi, en commençant par la jeunesse de Jaber, la partie la plus simple mais la moins documentée !

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Je me suis mis dans la peau du petit orphelin analphabète et j’ai inventé beaucoup de choses, notamment sur son vécu avec Mimoune, un vieux boulanger de La Goulette. C’était parti. J’ai fini mon premier manuscrit à la fin de l’année 2023, en quatre mois ! Après l’architecture n’a pas changé mais j’ai « toiletté », peaufiné, nuancé le récit pendant six mois.

Diasporadz : Vous avez réussi le pari de faire revivre Jaber, comment avez-vous réussi cette magie ?

Jean Calembert : Au début, j’avais l’intention d’écrire une nouvelle, puis un roman, avec des tranches de vie basées sur les moments magiques qui structuraient la vie de Jaber : l’enfance, la partie boulanger-chanteur-boxeur-bonimenteur, son mariage et son divorce aux USA, sa résistible ascension, sa vieillesse, son décès. Très vite, j’ai eu l’idée d’intégrer dans le récit des interludes de pure fiction, les chapitres « Jaber et moi ».  J’écrivais jour et nuit, deux heures le matin, deux heures en début d’après-midi, pause, une heure avant le repas du soir.

À l’époque, je rêvais beaucoup de Jaber (des rêves que j’essayais de programmer !). Mais, quand j’y pensais le lendemain, les souvenirs étaient vagues, inconsistants. J’ai décidé alors de monter mon PC dans la salle de bain. Lorsque je me réveillais la nuit entre deux rêves, je prenais quelques notes qui me servaient de matériau de base, de substrat pour un ou plusieurs épisodes.

Durant toute cette période, j’ai chanté, peint, mangé, fait du vélo, déconné, vieilli avec Jaber ! Et le personnage a pris forme. J’y ai pris un plaisir fou. J’ai inventé un Jaber Bis, sans autre contrainte que les limites de mon imagination avec une double exigence : respecter ses valeurs et ne jamais porter de jugement de valeur sur son parcours de vie.

Diasporadz : Vous avez cherché et trouvé l’ombre et la lumière entourant sa vie, qu’en pensez-vous ?

Jean Calembert : Je ne l’ai pas cherché. C’est cela, le vrai Jaber. L’ombre et la lumière ! Docteur Jekyll et Mister Hyde ! Il a deux visages. Celui qu’il montre surtout en public et qu’il affiche en semaine, différent chaque jour, celui d’un joyeux bouffon, au rire moqueur, jamais méchant. Et puis le visage qu’il a vraiment. Celui que l’on voit quand il tombe le masque, surtout en privé et le week-end. Celui d’un poète philosophe qui aime bien faire rire les autres, mais se contente d’une joie discrète teintée d’autodérision.

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Il ne faut pas essayer de dissimuler ou de nier les défauts de Jaber. Il faut, au contraire, les voir comme un mal nécessaire et dérisoire par rapport à tout ce que Jaber a apporté́. Il faut apprendre à comprendre et à pardonner le côté́ sombre et secret de Jaber pour l’aimer vraiment, totalement.

Diasporadz : Je vois très bien une adaptation au cinéma, d’ailleurs la construction même du livre s’y prête, y avez-vous songé ?

Jean Calembert : Honnêtement, non ! J’en suis encore à prendre le bel objet qu’est « Où vas-tu, nuage ?» dans mes mains, d’en admirer les rabats, d’en feuilleter les pages, de sentir l’odeur du papier, d’en relire des passages. Et de revivre les merveilleux moments passés avec mon éditrice Ghislaine Verdier de L’œil de la femme à barbe (!), dans son atelier, à la sortie du livre au Falafel Café, à la Halle Saint-Pierre.

Mais c’est vrai que votre question et certaines chroniques de mes premiers lecteurs donnent corps à cette hypothèse… Un film sur Jaber ? Pourquoi pas !

Diasporadz : Dans vos recherches, quelles sont les difficultés majeures rencontrées ?

Jean Calembert : Assez peu finalement. J’ai été frappé par l’enthousiasme des gens (collectionneurs, galeristes, amis proches, amis tunisiens, famille, etc.) à parler de lui avec amour, respect et chaleur et à me faire part d’anecdotes plus savoureuses les unes que les autres. Retrouver la femme de Jaber aux USA, et la faire parler, a été, je crois, un exploit. Faire la lumière sur sa fin de vie a été le plus difficile et le plus pénible. Le reste a coulé de source, presque naturellement.

Diasporadz : Tel un détective vous avez pu reconstituer la vie de Jaber, avez-vous atteint votre objectif ?

Jean Calembert : Reconstituer sa vie n’était pas un objectif. Comprendre le personnage, faire le tri entre des témoignages contradictoires, explorer la partie cachée de l’iceberg, le ressusciter de façon crédible, oui ! D’après une majorité de lecteurs, je crois que j’ai réussi cette mission impossible.

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Diasporadz : Peut-on dire qu’il s’est noyé dans l’Art brut ?

Jean Calembert : Je ne crois pas. J’en suis même certain. La période la plus heureuse de sa vie, ce n’est pas celle de la rencontre avec Dubuffet, ni celle de sa consécration comme un des maitres de l’Art brut.

C’est la période où, avec pour seules armes son culot, son vieil oud, ses grimaces, son enthousiasme, sa naïveté́ et son bagout, il captivait sans effort des centaines et des milliers d’inconnus. Ce sont, avec le recul, les plus belles années de sa vie !

Je ne suis pas sûr que son art soit si brut que cela. Éveiller la curiosité́ des gens, faire le clown, chanter, peindre, c’est sa raison de vivre. Le temps suspend son vol quand Jaber crée, ce sont les seuls moments où il connait un bonheur intense. Un bonheur qui dure et ne s’évapore pas dans l’instant.

En un week-end, il peut réaliser dans la joie plus de 200 œuvres sur papier, presque toutes géniales. Comme il peut, avec la même jouissance, préparer plus de 100 sculptures banales et fragiles comme le pain et accoucher le week-end de deux totems flamboyants, résultats d’une sorte de free-jazz endiablé, envoutant.

Chez Jaber, le génie suit un drôle de chemin, imprévisible et délicat. Il le dit lui-même : « Pour moi, la vie d’artiste… c’est le chemin du hasard. Quand j’ai des chaussures, j’ai pas de chaussettes et quand j’ai des chaussettes, j’ai pas de chaussures. C’est pourquoi j’ai choisi de faire ce long chemin pieds nus ».

Diasporadz : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?

Jean Calembert : À court terme, je me consacre à la promotion de « Où vas-tu, nuage ?». J’aime rencontrer des gens qui ont connu Jaber, me montrent des œuvres qu’ils ont acheté ou que Jaber leur a données. Ils me parlent de lui avec passion, me montrent des coupures de journaux, des photos, des vidéos… Et j’aime faire connaître Jaber, l’artiste et la belle personne à des gens qui le découvrent.                      

Et puis, dès le printemps, j’aspire à retrouver mes proches que j’ai délaissés depuis l’aventure Jaber. D’aller dans ma Drôme Provençale, de refaire du vélo, de réécouter Léo Ferré, John Coltrane et Thelonious Monk, de relire Kerouac et Bukowski !

Diasporadz : Un dernier mot peut-être ?

Jean Calembert : Une nouvelle vie commence pour Jaber et moi.

Emporte-moi, nuage ! Enlève-moi, nuage, comme il plait au vent. Cela seul importe. Le reste n’est rien !

Entretien réalisé par Brahim Saci

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