Sadia Tabti revient, dans cette interview, sur son parcours, ses origines franco-algériennes, ses inspirations et les valeurs qui façonnent son œuvre.
Sadia Tabti partage avec sensibilité son engagement pour la promotion du patrimoine algérien, soulignant l’importance de raconter des histoires enracinées dans les traditions pour en assurer la pérennité.
Elle aborde également son rapport à la littérature jeunesse, qu’elle considère comme un moyen puissant de transmettre des valeurs et de sensibiliser aux enjeux contemporains.
Un échange riche et captivant qui célèbre la mémoire, la poésie et le pouvoir de la transmission dans la construction d’un avenir respectueux de la diversité culturelle.
Entretien réalisé par Brahim Saci
Diasporadz : Votre écriture met en lumière la richesse de vos origines franco-algériennes. Comment cette double culture influence-t-elle vos récits ?
Sadia Tabti : Née de mère française, les classiques de la littérature française ont façonné ma manière de voir le monde et d’appréhender les complexités humaines, et, de père algérien. L’Algérie source d’inspiration et de résilience est un patrimoine tout aussi riche. Les contes et légendes berbères, les chants de l’Andalousie et les récits de notre résistance à la guerre d’indépendance sont autant de sources qui nourrissent mon imaginaire.
Ce métissage culturel se traduit par des histoires croisées où se mêlent les influences françaises et algériennes. Double attachement filial et culturel qui se lit dans ma préoccupation constante pour l’artisanat où je me suis spécialisée.
En somme, mes origines franco-algériennes sont une source inépuisable d’inspiration et de créativité et d’émotions variées car un de mes ouvrages CommUn-CommUne – Insurgés Algériens 1871 et communard 1871 Ed. L’Artmemoire, faisant une mosaïque culturelle unique et précieuse. Mon écriture vise à créer un pont entre les cultures française et algérienne.
Par cette double culture, j’ai une mission : mettre en lumière nos auteurs francophones algériens en tant qu’ambassadrice de l’antenne Algérie du réseau, Rencontre des Auteurs Francophones, composé de 54 pays et 5 continents.
Diasporadz : Les personnages de Tassadit, la petite potière et Tassadit, la petite bijoutière sont très attachants. Qu’est-ce qui vous a inspirée pour créer ces héroïnes ?
Sadia Tabti : Après près d’une dizaine d’années de céramique, j’ai organisé et mis en place un parcours itinérant « résidence autour de l’argile » en Kabylie chez une mère potière pour des céramistes professionnelles de la région Rhône-Alpes, intéressées par cet art millénaire qu’est la poterie modelée à fond plat (néolithique).
L’attachement à cette culture ancestrale, celle de mon père Mohand, m’a fait prendre conscience de la disparition progressive de la poterie réalisée par les femmes. Une idée a germé dans ma tête : « perpétuer cet art millénaire par le biais du conte ».
J’aime à penser que je peux offrir aux jeunes lecteurs la transmission de ce savoir-faire afin de maintenir le maillon de cette chaîne.
Diasporadz : Vos contes rendent hommage aux savoir-faire artisanaux kabyles. Pourquoi était-il important pour vous de les mettre au cœur de vos histoires ?
Sadia Tabti : Si la perpétuation de ces arts millénaires a continué par on ne sait quel miracle jusqu’à ce jour, en conservant les secrets, les rites et rituels de ces savoir-faire, spécificité de la culture amazighe, laquelle appartient depuis la nuit des temps aux régions rurales et montagneuses, nous déplorons hélas depuis quelques décennies sa tendance actuelle à se raréfier pour ne pas dire disparaitre.
Cet hiver, j’ai accompagné des chasseuses de trésor, amoureuses de notre savoir-faire, j’ai pu constater le véritable désastre à travers notre chère Kabylie.
La réalité m’a frappée en pleine figure ! Il est urgent de se préoccuper de ce patrimoine immatériel.
Je me suis rendue chez les potières, les tisserandes, la majorité ont plus de 70 ans et certaines ne peuvent plus pratiquer cet art, les jeunes filles restées au village ont délaissé cette pratique ancestrale en cessant pour ainsi dire de poursuivre cette tradition.
Ce triste constat est ma préoccupation première, plusieurs facteurs socio-économiques expliquent cette tendance, qui menace la diversité culturelle et le savoir-faire ancestral.
Il y a la réticence des jeunes générations à acquérir les connaissances et les compétences traditionnelles car elles préfèrent souvent les emplois urbains, considérés comme plus lucratifs et moins exigeants que ceux de l’artisanat. La mondialisation a intensifié la concurrence internationale, favorisant les produits manufacturés à grande échelle. De plus, la reconnaissance sociale des artisans est insuffisante, ce qui décourage les jeunes de se lancer dans ces carrières.
Diasporadz : La mémoire, la transmission et l’héritage sont des thèmes récurrents dans vos livres. Quelles valeurs souhaitez-vous transmettre à travers votre travail ?
Sadia Tabti : A travers la littérature jeunesse et le rêve, je souhaite transmettre non seulement ce savoir-faire aux jeunes générations mais aussi être passeuse des valeurs collectives et de mémoire : « Nous n’aurons plus ce sentiment d’identité et de continuité si nous ne prenons pas conscience que notre patrimoine est en péril et que nous perdons l’héritage que nous ont transmis nos ancêtres. »
Tassadit est plus qu’un personnage, elle est née d’un désir profond de préserver les techniques artisanales, de valoriser les racines culturelles, de rendre hommage aux femmes artisanes qui ont su préserver ces pratiques avec passion et savoir-faire, à travers les âges.
Diasporadz : Vous participez régulièrement à des événements culturels. Quel rôle pensez-vous que la littérature peut jouer dans la préservation du patrimoine amazigh ?
Sadia Tabti : La littérature joue un rôle fondamental dans la préservation du patrimoine culturel et historique de notre culture. Elle permet de transmettre les savoirs, les traditions et les valeurs d’une génération à l’autre, assurant ainsi la continuité et l’évolution de notre identité culturelle.
Ces œuvres littéraires permettent de sauvegarder les récits et les légendes qui ont été transmis oralement pendant des siècles. Les contes, les mythes et les légendes étaient autrefois racontés autour d’un feu ou lors des rassemblements communautaires, ils trouvent une nouvelle vie lorsqu’ils sont consignés dans des livres. Chercheurs et historiens peuvent ainsi étudier et comprendre les croyances, les valeurs et les coutumes d’une culture.
Nos écrits restant, les traditions orales ne disparaissent pas avec le temps, mais se perpétuent et évoluent.
La littérature devient ainsi un outil de résistance contre l’homogénéisation culturelle et linguistique, et joue un rôle clé dans la diversité culturelle.
Diasporadz : Comment voyez-vous l’avenir de la littérature jeunesse engagée culturellement, et quels conseils donneriez-vous aux jeunes auteurs issus de cultures multiples ?
Sadia Tabti : Le besoin de diversité et d’inclusion dans la littérature jeunesse n’a jamais été aussi pressant. Les jeunes lecteurs cherchent des histoires qui reflètent leur propre réalité, leurs luttes et leurs triomphes.
Cette prise de conscience se traduit par une augmentation des publications mettant en scène des personnages issus de minorités et des thèmes célébrant la diversité.
Les livres pour enfants et adolescents explorent des sujets tels que les droits civiques, l’égalité des genres, la protection de l’environnement, et le combat contre le racisme et la discrimination.
Diasporadz : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
Sadia Tabti : Oui, j’ai différents projets dont un qui me tient particulièrement à cœur, je viens de mettre en place et j’anime un atelier de lecture à voix haute pour de jeunes algériens s’intitulant « La Nouba des mots » en hommage à Assia Djebar, figure emblématique de la littérature algérienne francophone (académicienne) en partenariat avec la Grande Mosquée de Paris, cet atelier se déroule dans leur Bibliothèque.
Nous souhaitons transmettre aux jeunes générations l’héritage culturel et littéraire de nos auteurs algériens francophones tout en prenant du plaisir à lire et en renforçant leur confiance en eux.
Diasporadz : Un dernier mot peut-être ?
Sadia Tabti : Mon dernier mot sera pour la publication de mon dernier ouvrage, d’Arachné à Tassadit ou l’Odyssée du Tissage, qui vient d’être publié aux Editions Rencontre des Auteurs Francophones, conte pour enfants et adultes. L’Odyssée du Tissage est un symbole des destinées humaines. Les femmes dans la mythologie grecque filent, tissent et coupent les fils représentant les vies des mortels.
Par le biais de la mythologie, des légendes, mythes, rites, ce conte met en lumière le savoir-faire de nos tisserandes, fruit d’une riche culture traditionnelle portant le témoignage des croyances ancestrales.
Tassadit remarque un long fil de soie d’une extrême finesse, elle aperçoit à ses pieds l’araignée Arachné qui lui propose de suivre ce fil de soie, de plusieurs kilomètres, qu’elle a laissé porter par le vent jusqu’au Mont Tamgout (Algérie). Tassadit va parcourir la région agrémentée de plusieurs obstacles en passant par différentes étapes. Sur chaque site oublié, elle croisera des gardiennes, des êtres mythiques bienveillants qui apparaîtront sous différentes formes et lui conteront l’histoire fascinante de l’univers du tissage.
Entretien réalisé par Brahim Saci